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De brique et de broque
25 avril 2015

C'était il y a 100 ans, ... le dimanche 25 avril 1915, en reconnaissance dans les tranchées de la moissonneuse et du profond val

 

25 avril 1915 – dimanche

labyrinthe plan detaillé complet madagascar ecurie batteuse

 Les boyaux de Madagascar et d'Ecurie et la tranchée de la Moissonneuse (riboulet.info)

 

L’on nous juge suffisamment familiarisés avec le secteur, et, ce soir, nous sommes relevés par le 3ème bataillon de chez nous qui vient à son tour faire son apprentissage du terrain. En attendant l’attaque nous allons nous reposer, nous entraîner et nous approvisionner à l’arrière. Nous entraînons avec nous dans la relève deux compagnies du 37ème qui gardent le front à notre gauche, et il faut aller reconnaître leur emplacement pour pouvoir, ce soir même, donner au commandant Azan qui va occuper 107 un aperçu exact de l’ensemble de son secteur. Je pars donc explorer cette région que je n’avais pas encore parcourue. En outre, le commandant n’est pas mécontent que j’aille étudier le secteur de la Moissonneuse vers lequel le hasard de l’attaque peut nous diriger.

Moissonneuse

Une moissonneuse semblable à celle qui a donné son nom au secteur éponyme (forum-outils-anciens.com)

 

En effet, le régiment va être réserve de corps d’armée et peut être dirigé sur n’importe quel point du secteur du 20ème corps d’armée. Je pars donc vers 8 h de 107 et gagne, par le collecteur, notre 1ère ligne et je trouve effectivement la liaison avec le 37ème à la gauche du bataillon qu’occupe la 3ème compagnie. Mais cette partie du secteur est beaucoup moins finie et organisée que notre front. Les boyaux sont peu profonds et assez mal entretenus. Il faut continuellement baisser la tête, et, par endroits, on passe le buste entier en dehors de la tranchée. De plus, les eaux séjournent dans ce fond qui sert de puisard au coteau d’Écurie et aux pentes de la route de Béthune. D’où une boue gluante et qui colle aux pieds. Je découvre le P.C. dans un petit boyau qui mène à la 1ère ligne, et mon arrivée coïncide avec un vif bombardement par l’ennemi de la tranchée de tir. Je laisse le lieutenant Berger-Levraut qui commande ce groupe à ses préoccupations immédiates : évacuer les blessés et renseigner sur ce bombardement ; je lui apprends ensuite qu’il sera relevé le soir par du 69ème et envoie un agent de liaison devant la mairie d’Anzin chercher nos compagnies et les guider par des boyaux autres que le collecteur de 105 qui sera déjà passablement encombré par la relève de notre bataillon. Il me donne aussitôt un cycliste, et je pars, avec lui comme guide, dans la direction de la route de Béthune dont je veux reconnaître les ouvrages. Au passage, nous voyons un beau boyau de relève qui longe la route de Béthune et aboutit à la ferme Madagascar. Puis, nous traversons la route de Béthune à la tranchée de la barricade où je vois des mitrailleurs qui enfilent la direction des Rietz[1]. Il y a beaucoup de fil de fer, et ils se rejoignent à ceux des Allemands qui ont leur tranchée à 80 mètres environ. Quelques cadavres pourrissent au milieu de ce réseau enchevêtré, pionniers ou soldats du génie qui ont été atteints au cours d’une pose difficile.

tranchée morts dessins1418

...pionniers ou soldats du génie qui ont été atteints au cours d’une pose difficile (dessins1418.fr)

 

Voisin de la route, se trouve le P.C. central du secteur. Ici, les ouvrages deviennent plus compliqués, plus nombreux et plus profonds. C’est un véritable fortin qui se développe en arc de cercle autour des ruines de la Maison-Blanche que l’ennemi a lui-même transformé en réduit de mitrailleuses. C’est là, me dit-on, un des plus gros morceaux à enlever lors de l’attaque prochaine, car il prend de flanc à la fois une attaque parallèle à la route de Béthune et une attaque débouchant de la cote 84 et du « Profond Val » en direction des Rietz.

L’ennemi y est perpétuellement en éveil, et un périscope que je risque au-dessus d’un créneau est aussitôt salué d’un coup de feu. De là, la tranchée de 1ère ligne traverse le « Profond Val » et grimpe le coteau de 84.

labyrinthe

 Figure 56 : Le réseau du Labyrinthe côté allemand[i]

 

C’est une des plus belles parties du front comme confort et sécurité. Les postes de commandement sont de vastes chambres blindées à cinq et six mètres de profondeur, les cagnas sont larges, et la tranchée de tir rappelle un chemin de ronde de fort. Nous prenons le boyau de « Profond Val », car je veux revenir à 105 après avoir prévenu à Anzin les cuisiniers de la relève pour le soir. Nous débouchons sur la chaussée Brunehaut à hauteur de la ferme Brunehaut qui occupe la cote 94 et dont les bâtiments principaux sont encore intacts. Il faut dire qu’elle est complètement dissimulée dans des bouquets touffus d’arbres et d’arbustes et que la carte d’état-major ne la mentionne pas. Ce sera, lors de l’attaque du 9 mai, le poste de combat de notre général de corps d’armée, et j’ai vu, dans des illustrés, des photographies du général Joffre prise au carrefour de la chaussée Brunehaut et du chemin de Marœuil. Une fois les ordres donnés aux cuisiniers d’attendre le bataillon pour 9 h du soir à l’entrée d’Anzin et après avoir déjeuné avec eux, je retourne à 107 où l’après-midi se passe à préparer les plans et à faire les topos d’usage dans une relève. Vers 4 h, nous apprenons que nous devons nous rendre à Marœuil où le lieutenant Villeroy s’est occupé à préparer notre cantonnement. Vraiment la perspective de passer le repos avant l’attaque dans ce nid à obus nous sourit bien peu, et le commandant préfèrerait presque attendre encore la relève, car il n’y a rien de si stupide que de se faire tuer étant au repos. Le commandant Azan arrive avant ses compagnies vers 7 h, et nous nous préparons au départ. Après les inévitables canards et coinçages habituels dans les boyaux, tout le monde finit par trouver son chemin. Pour simplifier, le commandant laisse toute liberté aux compagnies qui, à l’entrée nord-ouest de Marœuil trouveront le lieutenant Villeroy qui indiquera à chacune sa zone de cantonnement. Pour nous, nous partons les derniers, une fois les boyaux libres et gagnons rapidement Marœuil par les crêtes qui dominent le pont de pierre. Nous pouvons nous rendre compte que l’on a beaucoup travaillé depuis notre dernier passage. Des boyaux sont amorcés sur tout ce mamelon, et le pont de pierre va être relié souterrainement à Marœuil, ce qui évitera bien des massacres de blessés. Enfin, l’artillerie couvre tout le plateau, et les pièces enterrées sont presque côte à côte.

À l’entrée de Marœuil, le lieutenant Villeroy rencontré nous conduit à une longue maison blanche des bords de la Scarpe, sur la route de la gare, sitôt passé le pont. Nous n’y sommes que provisoirement, car le lendemain nous devons avoir les clefs de la villa d’un intendant militaire qui est un peu plus confortable et surtout plus propre. Je revis cette maison blanche pour la dernière fois ; lors de notre dernière traversée de Marœuil, sa façade était complètement éventrée par un obus, et les débris en encombraient la rue. Pour l’instant, nous y dormons tout notre saoul.

 

tranchée boue

 ... d'où une boue gluante et qui colle aux pieds (dessins1418.fr)

 

 

Extrait du livre « Les carnets du sergent fourrier » :

http://www.editions-harmattan.fr/index.asp?navig=catalogue&obj=livre&no=41720

 

 

 



[1] Il y a un endroit appelé « Aux Rietz » au sud-ouest de la Targette, à l’ouest de Neuville-Saint-Vaast et, sur le site du Labyrinthe, un des boyaux avait pour nom le boyau des Rietz, mot qui désigne une friche, une terre inculte ou un pré.



[i] Figure 56 : Crédit photographique site Pages14-18.com (Laurent59)

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Commentaires
De brique et de broque
  • Ce blog reprend, depuis la fin 2015, la publication d'extraits d'un livre que je souhaite rééditer, les "Ecrits d'exil" de Maurice Gabolde, mon GP. Auparavant ce furent les extraits des "Carnets du sergent fourrier". Voir aussi (http://gabolem.tumblr.com)
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