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De brique et de broque
24 avril 2015

C'était il y a 100 ans, ... le samedi 24 avril 1915, en reconnaissance dans le labyrinthe

 

24 avril 1915 – samedi

 

Je dois aujourd’hui aller dans les ouvrages de 2ème ligne qui s’étendent entre la ferme Thécla et notre place d’armes de la cote 107 reconnaître des emplacements pour le 2ème bataillon qui vient ce soir se familiariser avec le secteur.

Dès le jour, nous sommes réveillés par quelques coups de canon tirés sur Écurie. Bien que depuis longtemps il n’y ait plus de réserves dans ce village, une vieille habitude chère aux Allemands leur y fait dépenser des munitions. Mais, bientôt, le téléphone de la 1ère ligne nous transmet des nouvelles plus tristes : les premiers blessés du bataillon sont à la 4ème compagnie. C’est une bombe qui vient de toucher deux soldats de la compagnie, et j’accompagne les brancardiers – dont le poste de secours est voisin de 107 – qui partent les chercher. Heureusement qu’avec ce système de boyaux profonds on peut évacuer aussitôt les blessés et en plein jour ; leurs blessures sont assez légères, et ils partent aussitôt vers Marœuil. 

Labyrinthe coté français

Figure 55 : Le réseau français face au Labyrinthe[i]

 

 

Je puis alors chercher des emplacements pour deux compagnies dans une sorte d’ouvrage en colimaçon relié au boyau d’Écurie par des passages souterrains sous la route. C’est un ouvrage complètement terminé au point de vue défensif, mais où il y a beaucoup à faire au point de vue commodité : pas de cagnas, des sapes à peine ébauchées, en revanche, les tranchées de tir sont parfaites et dominent tout le vallon de Neuville, et il y a des quantités de fil de fer. Ma foi, les compagnies n’auront qu’à travailler, si elles ne veulent pas coucher à la belle étoile. Au cours de ces pérégrinations, je découvre un joli petit chien noir qui s’attache à mes pas et que je ramène au poste du commandant. Nous nous prenons vite d’amitié pour lui, et il deviendra le chien de la liaison. On l’appela « Fritz », car il se pouvait bien qu’il vînt de chez les Boches qui en avaient pas mal comme veilleurs, en 1ère ligne. Il nous suivra toujours, et, faute de pouvoir le conserver lors de l’attaque du 16 juin, nous le confierons aux artilleurs d’un parc de munitions qui promirent de veiller toujours sur lui. Je ne l’ai plus revu.

chiens-Berger-allemand-chien de france com

Un petit chien noir appelé Fritz (chiens-de-france.com)

 

À la nuit, arrivent les 5ème et 6ème compagnies occuper mes emplacements. Je pars là deux bonnes heures à leur montrer leurs boyaux et tranchées, car ils sont, comme tout nouvel arrivé ici, un peu désorientés dans ce dédale souterrain. Je puis passer, une fois l’opération terminée, quelques instants avec Montalbetti que j’invitai à venir coucher à 107. Dernière entrevue avec ce bon camarade, une des premières victimes de l’offensive prochaine. C’était une figure intéressante : engagé volontaire au début de la guerre, il s’était faufilé, sans un jour d’instruction, dans un détachement de renfort venu au front où il avait été gardé pour son bel acte de courage. Blessé au bois 40, il revenait à nouveau après trois jours de dépôt. Il avait gagné successivement galons et citations par des actes audacieux d’enlèvement de petits postes et de patrouilles, et l’étudiant es-lettres blagueur et sceptique était devenu un résolu et un convaincu. Il fut atteint d’un éclat d’obus au genou devant le boyau « de Klück »[1], comme il rampait devant notre ligne de tirailleurs pour voir si l’ennemi se fortifiait en cet endroit. La douleur lui fit faire un brusque saut en arrière, et il recevait à cet instant une balle dans la tête qui l’étendit entre les deux tranchées. Baranger, de Vriès, Fèvre, Montalbetti, jeunes gens de 20 ans, fils de la bourgeoisie française, étudiants en droit, en sciences ou en lettres, la guerre a fait de vous des héros. Tel est mon devoir de rappeler votre souvenir, et c’est mon honneur d’avoir été votre ami.

Kluck (wikipedia von Kluck)

 Le boyau "de Klück" en l'honneur d'un grand général allemand de l'époque, Alexander Von Klück (es.wikipedia.org)

 

 

Extrait du livre « Les carnets du sergent fourrier » :

http://www.editions-harmattan.fr/index.asp?navig=catalogue&obj=livre&no=41720

 

 



[1] Ces noms avaient été donnés par les soldats français qui connaissaient à peu près l’organisation du système allemand : boyau le Kaiser, boyau Hindenburg, boyau von Klück etc.



[i] Figure 55: Crédit photographique site Pages14-18.com

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Commentaires
De brique et de broque
  • Ce blog reprend, depuis la fin 2015, la publication d'extraits d'un livre que je souhaite rééditer, les "Ecrits d'exil" de Maurice Gabolde, mon GP. Auparavant ce furent les extraits des "Carnets du sergent fourrier". Voir aussi (http://gabolem.tumblr.com)
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