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De brique et de broque
20 janvier 2016

ECRITS D’EXIL (Extrait n°23)

ECRITS D’EXIL (Extrait n°23)

Pour contribuer à la réédition des « Ecrits d’exil », rendez-vous sur :

http://www.kisskissbankbank.com/fr/projects/ecrits-d-exil

 

Ce petit extrait concerne ce moment très particulier où Pierre Laval, son épouse et Maurice Gabolde s’envolèrent d’Italie vers l’Espagne:

… Sur le terrain d’aviation, on nous présenta les pilotes, deux têtes blondes imberbes d’adolescents, aux yeux bleus, émergeant du gros tas d’étoffe jaune qui les faisait ressembler à des sacs ambulants. Ils se figèrent dans l’immobilité du garde-à-vous, pendant que le Capitaine Hanger prononçait quelques paroles que j’entendis mal dans le bruit des moteurs ; les deux aviateurs levèrent la main droite et répondirent : « Ich schwore »  [je le jure]. Plus tard, à Montjuich, ils m’expliquèrent qu’ils avaient juré sur leur honneur, en présence du Führer, représenté par leur chef, d’aller jusqu’au sacrifice de leur vie dans la mission qui leur était confiée.

C’est un Junker de ce type qui emporta les passagers

Ils devaient, jusqu’au 30 Mai 1945, partager notre internement en Espagne ; Gerhardt Bohm et Hellmuth Funk étaient deux spécimens de l’héroïque jeunesse qui, en Europe comme en Amérique du Nord, a servi avec courage, désintéressement et esprit de sacrifice sa patrie ; l’un d’eux avait été abattu deux fois en combat aérien, dont une au-dessus de la Méditerranée et avait flotté pendant plusieurs heures sur l’épave de son appareil ; ils ne savaient plus rien de leurs familles originaires de Stettin et de la Thuringe ; la fiancée de Funk travaillait comme ouvrière d’usine à Salzbourg. Je les vis suivre, les yeux noyés de larmes, la mâchoire serrée, le corps penché vers la radio, le développement de l’effondrement militaire de l’Allemagne, la capitulation des généraux, la reddition sans condition ; ils ne parvenaient pas à réaliser un tel cataclysme si contraire à l’idée qu’ils s’étaient faite de la puissance du IIIème Reich. Quand ils nous quittèrent, ils exprimèrent leurs sentiments dans ces quelques lignes écrites par l’un d’eux sur l’album d’un Espagnol qui s’intéressait à leur sort : « Wie wir ohne Kette geboren sind, so wunschen wir ohne Zwang zu leben. Moge Spanien und sein Volk ewig leben, das wunschen die deutsch Flieger » [Les pilotes allemands souhaitent à l’Espagne et aux Espagnols de pouvoir vivre éternellement sans contrainte, tout comme l’homme naît sans chaînes]. Nous prîmes congé de nos chauffeurs et des policiers qui nous avaient accompagnés jusqu’à l’aérodrome ; je leur avais donné mes modestes bagages et n’avais, pour tout avoir, qu’une petite valise à main et les vêtements qui étaient sur mon dos ; nous nous insérâmes dans l’avion par une trappe, entassés les uns au-dessus des autres ; je grimpai le dernier, devant m’étendre sur la plaque de fer qui obstruait la trappe et que l’on vissa soigneusement.

La petite valise de Maurice Gabolde

Les pieds de Madame Laval étaient à la hauteur de mon visage. L’avion fit quelques tours de piste pour prendre son envol presque verticalement, afin d’atteindre immédiatement une grande hauteur. Je discernai, par un orifice de la plaque sur laquelle j’étais couché, les pentes des Alpes le long desquelles nous grimpions par bonds successifs. Puis, on entra dans les nuages ; le froid était intense et l’on évoluait dans une couche ouatée, le tympan assourdi par le vacarme des moteurs. Je revécus mon existence depuis le mois de Mai 1940 ; tout cela me semblait un mauvais cauchemar qui allait s’achever sur la pointe de quelque arête rocheuse. La respiration devenait difficile et les oreilles bourdonnaient désagréablement. Nous étions à plus de 6 000 mètres.

Un Junker 88, d’un type voisin de celui qui emporta Pierre Laval en Espagne

Par moment une éclaircie survenait ; je devinais des sommets dénudés, la tâche bleue d’un lac, celui de Côme peut-être ; l’avion plongeait brusquement dans un trou d’air et se relevait brusquement comme un ascenseur qui démarre. L’avion descendit progressivement après avoir franchi les Alpes franco-italiennes au nord de Nice ; on commença à distinguer des villages, des arbres et de tout petits points noirs qui se déplaçaient sur des routes sinueuses, longs rubans blancs au milieu du vert des prairies et de l’ocre des champs et des terrains incultes ; puis, ce fut la mer que nous abordâmes dans la région de Menton. L’avion reprit de la hauteur pour franchir la côte et piqua droit sur la Corse ; la température était redevenue supportable ; il faisait presque chaud ; quand la terre eut disparu, l’avion descendit jusqu’à raser les flots ; nous devions, me dirent les pilotes, donner l’impression de loin d’un petit navire. Ils changèrent de direction en haute mer et cinglèrent vers l’Ouest. À 11 heures 50, j’aperçus de mon observatoire une côte, des montagnes pelées, puis des maisons et des plages : c’était l’Espagne.  

(à suivre… lorsque les « Ecrits d’exil » seront réédités)

 

Pour contribuer à cette réédition, rendez-vous sur :

 

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Commentaires
De brique et de broque
  • Ce blog reprend, depuis la fin 2015, la publication d'extraits d'un livre que je souhaite rééditer, les "Ecrits d'exil" de Maurice Gabolde, mon GP. Auparavant ce furent les extraits des "Carnets du sergent fourrier". Voir aussi (http://gabolem.tumblr.com)
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