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De brique et de broque
16 octobre 2014

C'était il y a 100 ans, ... le vendredi 16 octobre 1914 à Hannescamps

16 octobre 1914 – vendredi

carte MonchyAu sud de Monchy, la cote 162 (géoportail.gouv.fr)  

Au matin, le commandant m’envoie chercher. Je le trouve dans une maison de Bienvillers avec le reste de la liaison, et il me raconte les événements des derniers jours. La veille, à la nuit, à la faveur du brouillard, les chasseurs à pied ont enlevé à la baïonnette Hannescamps qui est à quelques centaines de mètres de nous. Les 3ème et 4ème compagnies de chez nous ont occupé le village aussitôt, surtout ses lisières face à la cote 162 et à Monchy. Le reste du bataillon va venir renforcer ces compagnies dans la défense du village, mais il faut s’attendre à attaquer Monchy d’un moment à l’autre. Je vais prévenir ma compagnie de descendre directement sur Hannescamps, où elle trouvera le commandant dans la dernière maison du village, sur la route de Monchy. Ici, pour être clair, il faut décrire un peu ce qu’était Hannescamps ce jour-là et ce que paraissait être Monchy, sournoisement dissimulé dans ses vergers en arrière de la cote 162 qui fut le calvaire de mon régiment. Monchy fut pour nous une obsession. Des légendes se sont créées autour de lui, et il reste encore imprenable pour tous ceux qui nous ont succédé.

chasseurs-a-pied rosalielebel75 franceserv com

Les chasseurs à pied (rosalielebel75.franceserv.com)

Hannescamps occupe le fond d’une cuvette dominé par les hauteurs de Monchy, des Essarts[1] et de Foncquevillers. C’est un tout petit village formé de deux rues qui se croisent à un carrefour où se dressaient deux grosses fermes. L’église et la mairie s’élevaient sur la route de Bienvillers. Du village, il ne restait que des ruines. Seuls, le presbytère, la ferme de droite au carrefour et une maison blanche à la lisière de la route de Monchy tenaient encore un peu et ne valaient guère que par leurs caves. Hannescamps, le matin où j’y pénétrais pour la première fois, était sinistre. Ça sentait le roussi et le cadavre. Les rues étaient pleines de corps de chasseurs à pied et d’Allemands. Les caves contenaient les blessés qui étaient venus y mourir, beaucoup d’animaux avaient brûlé dans les étables qui avaient été incendiées, et, dans le cimetière, contre le mur d’entrée, on voyait, embrochés l’un dans l’autre et debout encore, un chasseur à pied et un Allemand. Tout n’était que ruines et décombres qui achevaient de brûler. Quelques vieillards, une vieille femme notamment, réfugiés dans les caves en étaient sortis au moment de l’incendie du village et avaient été pris dans la bagarre, leurs cadavres de civils – plus repoussants encore que ceux des soldats que l’habitude rend familiers – se trouvaient devant les ruines de la mairie. Des balles sifflaient sans cesse au milieu de ces ruines, et les fusants de 130 éclataient régulièrement sur le carrefour.

De là, allait déboucher la 1ère attaque sur Monchy. À peine arrivées, en effet, et les compagnies placées aux lisières, parvenait l’ordre d’attaquer Monchy, et le succès paraissait certain à l’état-major, puisque l’ordre d’attaque disait qu’on tiendrait la position de nuit et que les distributions se feraient le soir devant l’église de Monchy. Le succès facile d’Hannescamps, la veille, avait dû tourner la tête à notre état-major. Nous ne voyions rien de Monchy, seulement en arrière de la cote 162 qui nous faisait face dans la maison blanche, il apparaissait la cime d’arbres au milieu desquels se dissimulait Monchy qu’un bataillon allait enlever, aidé de sections de mitrailleurs, de cavalerie représentés par un lieutenant de dragons et quelques cavaliers qui arrivèrent vers 10 h.

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L'attaque française  (rosalielebel75.franceserv.com)

Nous prenons du bout des dents un petit déjeuner dans la maison blanche entre les cadavres de Boches – puisque cette maison avait été un poste de secours où tous les blessés ennemis étaient venus mourir – au milieu de boîtes de cigares, de paquets de pansements, brancards, voire même sacs de vaguemestre pleins de lettres abandonnés par l’ennemi. Puis, vers 12 h, nous partons à l’assaut. Par la route, le commandant et la liaison progressent et regardent progresser le bataillon qui, par bonds, essaye d’atteindre 162 et le moulin. Comme les premiers passent la crête, toute la lisière de Monchy crache : mitrailleuses, fusils, canons. Le bataillon est littéralement fauché et il se replie un peu en arrière de la crête à hauteur du moulin et creuse des tranchées. Nous redescendons comme nous pouvons avec le commandant à Hannescamps, intacts cette fois encore. Il faut voir s’il reste des officiers et envoyer des comptes-rendus. La 3ème compagnie est la plus éprouvée, et, pour la commander, le commandant est obligé d’envoyer le sergent-major Barre qui était à sa liaison. Nous commençons les comptes-rendus. Le commandant demande du renfort, car il ne reste plus assez d’hommes pour repousser une attaque de nuit. Le capitaine Bolle[2], commandant la 2ème compagnie, est disparu. Fait prisonnier, il s’échappera et reviendra, blessé, le lendemain dans nos lignes. Nous allons chercher de la liaison à droite vers le ravin de la Brayelle.

Monchy moulin delcampe net

Le moulin de Monchy sera détruit (delcampe.net)

Pendant ce temps, notre maison blanche qui avait échappé au bombardement est atteinte, et nous n’avons que le temps de nous sauver à la cave pour échapper à l’écroulement. Deux autres obus achèvent de nous boucher le jour en accumulant les matériaux sur les soupiraux. Une odeur infecte règne dans la cave, où des cadavres ennemis sont en pleine putréfaction sur des matelas et des coussins dont la plume vole autour de nous. Sitôt la nuit, la contre-attaque prévue se déclenche, assez molle heureusement, et nous pouvons tenir, bien que mitraillés dans le village dont ils enfilent la rue jusqu’au carrefour.

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Infanterie territoriale, des hommes âgés (sambre-marne-yser.be)

 

Mais, voici du nouveau : le colonel envoie dire qu’un détachement de renfort composé de territoriaux arrive et qu’il va nous les envoyer à Hannescamps. Que faire de ces hommes ? Les mettre dans les compagnies ? Il est impossible de songer à faire gravir la cote 162 à des hommes qui n’ont jamais vu le feu, et, d’autre part, on ne sait pas exactement où sont les hommes des compagnies et quels sont les effectifs. Le commandant me charge d’aller les chercher au petit jour et d’en faire ce que je voudrais, mais, par grâce, de l’en débarrasser pour le moment. Je reste la nuit à veiller à la porte de la maison blanche ; l’odeur qui règne en bas est trop atroce, et le sommeil m’a quitté depuis l’épisode de Foncquevillers. Je suis assis au milieu des ruines, protégé des balles par un pan de mur et entouré de l’odeur écœurante du champ de bataille.

 

 

Extrait du livre « Les carnets du sergent fourrier » :

http://www.editions-harmattan.fr/index.asp?navig=catalogue&obj=livre&no=41720

 



[1] Les Essarts-lès-Bucquoy est à trois kilomètres à l’est de Foncquevillers.

[2] Le capitaine Bolle avait été blessé par balle au combat du 27 septembre, devant Montauban et venait de revenir à la tête de la 2ème compagnie, après sa guérison, le 14 octobre.

 

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De brique et de broque
  • Ce blog reprend, depuis la fin 2015, la publication d'extraits d'un livre que je souhaite rééditer, les "Ecrits d'exil" de Maurice Gabolde, mon GP. Auparavant ce furent les extraits des "Carnets du sergent fourrier". Voir aussi (http://gabolem.tumblr.com)
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