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De brique et de broque
22 avril 2015

C'était il y a 100 ans, ... le jeudi 22 avril 1915, à Anzin, au nord d'Arras

 

22 avril 1915 – jeudi

 

Je pars au petit jour pour Anzin croquer à nouveau le plan directeur et reconnaître par la même occasion pour le commandant le poste du colonel installé à la ferme Thécla, ferme de petite apparence bâtie sur le bord de la route. La ferme est encore intacte, mais en gens prudents, ses possesseurs – c’est-à-dire le colonel commandant le secteur – ont bâti un superbe abri blindé de trois pièces où l’on nargue un bombardement éventuel. Après instructions prises, et comme j’ai toute la journée pour faire un travail de deux heures, je vais explorer la région. Ici, finit le règne des boyaux. De formidables ouvrages de 3ème ligne sont cependant ébauchés dans le vallon qui sépare la route de la chaussée Brunehaut, vallon jalonné par les pylônes d’une installation électrique que la guerre a interrompue et dont une compagnie boche fut l’artisan. Je descends la route vers Arras, pendant que le 77 crache ses inoffensifs projectiles le long de la route de Lille où sont dissimulées nos batteries autour desquelles s’agitent paisiblement les artilleurs qui se débarbouillent et font le jus.

 

le jus pour papa

 Figure 53 : Du café pour papa (publicité d’époque)[i]

 

Un carrefour désert et bien marmité, c’est le croisement des routes nationales de Béthune et de Lille. Le pavé est défoncé. Les auberges n’ont plus figure de maisons, et les poteaux indicateurs ne sont plus consultés. Quel contraste tout de même avec le mouvement et le trafic qu’il devait y avoir ici en temps de paix ! J’arrive aux faubourgs d’Arras. D’ici, la ville paraît intacte, et les toits écroulés disparaissent dans l’ensemble des constructions que l’obus a épargnées. Je traverse Sainte-Catherine[1] où de bons territoriaux font la soupe. Tout ce quartier ne donne pas trop l’impression de ruines à laquelle je m’attendais. Et je remonte vers Saint-Aubin par la chaussée Brunehaut. Des maisons tout le long ; il n’y a pas de solution de continuité dans ces faubourgs de la grande ville. Anzin surtout est privilégié, et les civils y font de bonnes affaires. Du 9ème corps y est au repos pour l’instant, et la rue est encombrée de soldats qui déambulent. Un territorial y vend des journaux, et les caporaux d’ordinaire tiennent assises dans les bistros de l’endroit. Nos cuisiniers y sont installés. Je les découvre dans une ferme du bas du village dont la Scarpe borde le jardin.

Anzin saint Aubin delcampe fr

La chaussée Brunehaut traversant Anzin-Saint-Aubin (Delcampe.fr)

 

Ce coin est vert, frais, des vaches paissent tranquillement aux environs. C’est un oasis dans cette région dénudée et bien pelée. Les hôtes en sont charmants, et l’on m’invite à déjeuner à la fortune du pot. C’est une nombreuse famille dont une partie est composée de réfugiés de Vimy[2]. L’été dernier ils travaillaient dans les champs, malgré le bruit du canon que l’on avait entendu toute la journée dans les plaines de Douai, lorsque les Français sont passés, leur disant : « Partez, voilà les Allemands ! ». Et ils ont suivi les nôtres en vêtement de travail sans revenir à la ferme. Le soir, ils arrivaient chez leurs cousins à Anzin et demandaient l’hospitalité pour quelques jours. Et il y a neuf mois qu’ils sont là, les obus ont eu beau pleuvoir autour, Anzin n’a rien attrapé. À quoi bon aller plus loin, tant que sa maison a encore le toit ! Ajoutez que le mari est prisonnier depuis l’entrée des Allemands dans Lille et qu’un fils dont on me montre la photographie en militaire est disparu. C’est là l’histoire de presque tous les civils qui sont près du front. Qui dira leur courage et leur mérite ? Ils ont donné aux troupes qui venaient au repos l’impression de la famille, en partageant avec elles leurs denrées d’ordinaire et en donnant en retour le couvert, les pommes de terre et l’abri d’un toit souvent endommagé.

Anzin 2

Les champs qui bordent Anzin descendent vers la Scarpe (Delcampe.fr)

 

Après le déjeuner, exercice de cartographie à plusieurs exemplaires dans une salle du 1er étage de la mairie où le génie tient ses bureaux. Il y a une jolie collection d’obus et de débris du champ de bataille. Au mur des croquis permettent de suivre la création des ouvrages du nord d’Arras, depuis la petite ligne de tranchées qui arrêta les Allemands jusqu’à cette citadelle dont le dessin rappelle une grande toile d’araignée qui couvrirait une région entière dans ses mailles enchevêtrées.

Le soir, je regagne à la nuit tombante la cote 105, après un détour à Thécla qui me vaut une tasse de café chez le colonel.

 

labyrinthe plan detaillé complet differencie

Un plan assez détaillé du "Labyrinthe", les défenses françaises recopiées par le sergent Gabolde devant correspondre à la partie française, plus contrastée en bas à gauche (riboulet.info)

 

 

 

Extrait du livre « Les carnets du sergent fourrier » :

http://www.editions-harmattan.fr/index.asp?navig=catalogue&obj=livre&no=41720

 



[1] Sainte-Catherine est un faubourg au nord d’Arras.

[2] Vimy est à dix kilomètres au nord d’Arras.



[i] Figure 53 : Crédit photographique site ebay.fr (nepso45)

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Commentaires
De brique et de broque
  • Ce blog reprend, depuis la fin 2015, la publication d'extraits d'un livre que je souhaite rééditer, les "Ecrits d'exil" de Maurice Gabolde, mon GP. Auparavant ce furent les extraits des "Carnets du sergent fourrier". Voir aussi (http://gabolem.tumblr.com)
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