Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
De brique et de broque
8 mars 2015

C'était il y a 100 ans, ... au cours de l'hiver 1914-1915, à Proven

Proven

 

proven tranchée

...vie malsaine dans des tranchées pleines d'eau... (idhumanbody.com)

 

Il y eut, durant l’hiver 1914-15, de nombreux cas de fièvre typhoïde dans l’armée de Belgique, dus à la vie malsaine dans des tranchées pleines d’eau et à la contamination de tous les puits infestés par les cadavres d’hommes ou d’animaux. La principale maladie fut, à côté du typhus, les gelures des pieds qui se manifestaient souvent dans le terrain saturé d’eau dans lequel il fallait vivre nuit et jour. Ces deux raisons firent juger nécessaire un repos d’une vingtaine de jours un peu à l’arrière, repos dont on profiterait pour faire vacciner les hommes contre la typhoïde, pendant lequel on habillerait de neuf les hommes avec le nouvel uniforme bleu-ciel[1] ; enfin, on pourrait reprendre la troupe en main et faire un peu d’exercice.

thyphoide medecineentre2guerres fr

Premiers vaccins contre la thyphoïde en 1914 (medecineentre2guerres.fr)

 

C’est ainsi que, nous trouvant au repos de quatre jours à Oostvleteren, le 30 janvier, nous reçûmes au lieu et place de l’ordre de relève habituel un ordre de cantonnement à Proven, petit village de la frontière belge entre Roesbrugge[2] et Poperinghe. On juge de notre joie et de la force que l’on se découvrit pour faire un cantonnement rapide et confortable. La 11ème division se trouva concentrée dans la paroisse de Proven avec son général en résidence dans le village même. Notre bataillon fut désigné pour cantonner dans le village et servira de garde d’honneur au général Ferry[3]. Le commandant Navel fut major du cantonnement de Proven, ce qui ne fut pas un emploi seulement honorifique, car il fallut s’occuper de trouver des lits à tous les officiers de liaison qui sillonnaient l’arrière du front et de viser continuellement laissez-passer et passeports.

bleu horizon fantassin-1915

Les nouveaux uniformes bleu horizon (rosalielebel75.franceserv.com/)

 

Nous partîmes donc le 30 janvier au petit jour d’Oostvleteren par un matin froid d’hiver. Il avait fortement gelé, et on marchait difficilement sur la glace et le verglas qui recouvrait la route. Le soleil vint heureusement nous réchauffer, et, par Eikhoek, nous gagnâmes Krombeke[4] où cantonnaient nos T.C.2 pendant que nous occupions le secteur. Après une halte vite expédiée dans quelque pré, nous arrivons à Proven par la route de Roesbrugge vers 10 h du matin. Ma compagnie occupe des maisons et des fermes à l’issue du village vers Roesbrugge avec garde des issues. La 3ème compagnie occupe le centre du village et gardait les issues vers Poperinghe. Les 4ème et 2ème se trouvaient dans des fermes situées sur la route de Poperinghe et un peu à l’écart du village. Commandant et liaison s’installèrent dans une jolie maison, face à la mairie, et, pour notre part, nous installâmes notre cuisine chez un boulanger voisin.

proven mairie

Ce devait être la mairie de Proven (streetview google-earth.com)

 

Proven n’est à proprement parler qu’une longue rue bordée de maisons. La ville s’étend en longueur, commence au carrefour de la route de Roesbrugge et de celle du pont de Watou[5], se poursuit en constructions basses et régulières qui s’élèvent le long de trottoirs étroits ; une petite place occupe le milieu de la rue, et d’elle se détache une ruelle qui conduit à l’église au clocher pointu, entourée de son cimetière dans lequel repose mon ami Gauthier, tué tragiquement pendant ce repos par un culot d’obus tiré contre aéro. Dans la rue principale s’élevait la mairie où l’on accédait par un double escalier de pierre, les écoles où l’on nous vaccina, puis, à la hauteur de la gare où s’embranchait la « trois rois cabaret », les maisons se faisaient plus rares, et ça redevenait la campagne.

proven mairie2

Il n'y a pas de doute; voilà le double escalier (streetview google-earth.com)

 

Les boutiques étaient nombreuses et fournies de toute sorte de denrées, la pâtisserie délicate et les vins abondants. Nous eûmes vite nos fournisseurs attitrés, comme estaminets, photographes et pâtissiers.

photographe1

L'atelier d'un photographe au début du siècle  (collection-20e.mba-lyon.fr)

 

La popote des sous-officiers de la 1ère était installée dans un petit estaminet dans l’arrière-boutique duquel je passais de si bons moments et où je me liais – pourquoi, hélas ! – avec le petit Audouard, aspirant de la classe 15, que la mort devait trop tôt frapper dans le Labyrinthe de Neuville.

Pour nous, nous n’eûmes qu’à nous louer de notre famille de boulangers. Une vieille grand-mère, les parents, une jeune fille et un gamin formaient la famille qui nous fut accueillante. Nous débutâmes mal en cassant je ne sais quelle statuette pieuse, par maladresse, mais l’amitié de nos hôtes nous fut acquise par la promptitude avec laquelle nous remplaçâmes l’objet. Plusieurs de nous ont continué de correspondre avec ces bonnes gens qui nous donnèrent leurs matelas et nous écrivirent que jamais ils n’avaient eu de meilleurs soldats à loger. Leur complaisance trancha un peu avec l’avarice d’une vieille dame qui logeait le commandant et dont la maison bourgeoise, propre et cossue, s’élevait à côté de notre boulangerie. Je fus invité dans quelques maisons, chez des merciers notamment, dont je pris la défense contre des hommes de chez nous qui voulaient emporter malgré eux, pour un certain prix, des objets de leur boutique. Un café nous réunit souvent ; c’était la maison de tous, et ils devaient leur prospérité à ce qu’ils faisaient restaurant et savaient offrir une consommation pour qu’on en prît une autre. On y accédait par une charcuterie, et il était situé vers le milieu de la rue.

mercerie

Le comptoir d'une mercerie vers 1914 (design-industriel.info)

 

J’eus enfin souvent à faire avec le bourgmestre qui m’honora de son amitié et m’invita quelquefois à venir le soir causer avec lui. C’était un notaire dont la coquette maison s’élevait près de la mairie et dont la méticuleuse propreté, les rideaux blancs, les tapisseries et les parquets où l’on se mirait évoquaient bien la proverbiale propreté des Flandres.

04 - le roi des Belges et Gillain avec Foch

Figure 48 : Le 20ème corps défilant devant Joffre, Foch, D’Urbal et Balfourier[i]

 

Notre séjour à Proven fut marqué par une revue du général Joffre[6] dans les champs qui bordent la route de Poperinghe, en présence du roi des Belges. Un matin, grand branle-bas de combat, des autos amenèrent une grande quantité d’officiers d’état-major belges et français, puis arriva le roi dans un uniforme de général belge de l’ancienne tenue. Il est grand, mince, assez blond et a des yeux au regard doux derrière le verre du lorgnon. Il s’appuyait sur une canne, ce qui était alors fort à la mode, surtout parmi les officiers anglais.

Albert1er

 Figure 49 : Le roi Albert[ii]

 

Le général Joffre avait le grand manteau à pèlerine, une bonne démarche et un air affable sous ses grosses moustaches blanches. Impeccable de raideur et de tenue, il était accompagné du général d’Urbal qui commandait notre Armée et nous suivit à Arras. La revue eut lieu par un beau matin de soleil, nos compagnies de garde à Proven n’y prirent pas part. Le défilé fut bien ; la nouvelle tenue y reçut sa consécration officielle, et les photos de l’époque ont fixé pour l’avenir cette manifestation militaire sur la route de Poperinghe. Pendant les exercices qui préparèrent les hommes à cette revue eut lieu le triste accident qui coûta la vie à mon ami Gauthier, un survivant de l’active et un camarade de faculté. Il était devenu sergent-major et avait toujours fait preuve d’un beau courage. Un éclat d’obus de 75 tiré contre aéro boche l’atteignit dans le dos et lui fractura la colonne vertébrale. Il mourut sur le coup, et le régiment lui fit de belles funérailles dans l’église de Proven.

Je fis, durant ce séjour de Proven, l’intérim de sergent-major à ma compagnie, et ça occupa les quelques moments que j’aurais pu avoir de libre. Ainsi, je me promenai peu et ne visitai pas les environs comme nombre de mes camarades qui ne résistèrent pas au plaisir d’aller fouler le sol de France au pont de Watou, voire même à Steenvoorde[7]. Je ne pus cependant résister au plaisir d’aller voir Poperinghe dont on parlait tant et qui était la seule ville de la Belgique de quelque importance qui ne fut pas soumise au feu de l’ennemi.

Poperinghe

 Poperinghe (Delcampe.net)

 

Extrait du livre « Les carnets du sergent fourrier » :

http://www.editions-harmattan.fr/index.asp?navig=catalogue&obj=livre&no=41720

 



[1] Le nouvel uniforme est « bleu horizon » pour rester discret par rapport à la ligne d’horizon sur laquelle le soldat est censé apparaître en premier et est destiné à remplacer l’uniforme « gris de fer bleuté » avec pantalon « garance » (rouge) beaucoup trop visible.

[2] Roesbrugge est situé, en Belgique, à un kilomètre de la frontière française, à 21 kilomètres au sud-est de Dunkerque.

[3] Le général Edouard Ferry qui, à la tête de la « division de fer », aida Foch à arrêter les Allemands au Grand–Couronné, sera réprimandé pour avoir essayé d’alerter en avril 1915 les troupes alliées sur les immenses dangers présentés par l’utilisation de gaz asphyxiants par les Allemands (destruction massive et terreur).

[4] Krombeke est à mi-chemin entre Oostvleteren et Proven.

[5] Watou est à quatre kilomètres au sud-ouest de Proven.

[6] Joseph Jacques Césaire Joffre (12 janvier 1852, Rivesaltes – 3 janvier 1931, Paris), général français pendant la Première Guerre mondiale, artisan de la victoire de la Marne et de la stabilisation du front nord au début de la guerre. Nommé maréchal de France en 1916.

[7] Steenvoorde est en France, à une trentaine de kilomètres au sud-est de Dunkerque.



[i] Figure 48 : Crédit photographique site Pages14-18.com

[ii] Figure 49 : Crédit photographique site herodote.net

Publicité
Commentaires
De brique et de broque
  • Ce blog reprend, depuis la fin 2015, la publication d'extraits d'un livre que je souhaite rééditer, les "Ecrits d'exil" de Maurice Gabolde, mon GP. Auparavant ce furent les extraits des "Carnets du sergent fourrier". Voir aussi (http://gabolem.tumblr.com)
  • Accueil du blog
  • Créer un blog avec CanalBlog
Publicité
Archives
Publicité