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De brique et de broque
13 mai 2015

C'était il y a 100 ans, ... le jeudi 13 mai 1915, dans Neuville bombardée

13 mai 1915 – jeudi

 

Avant le jour, je suis réveillé par les cuisiniers de la 1ère que guide le caporal d’ordinaire. Lui expliquer où sont les compagnies est trop long. Il faut faire vite, et, sans rien dire à personne, je pars les guider. Nous nous hâtons, car nous pensons au retour. Le calvaire, le château où une section du génie est couchée dans un salon, le parc labouré d’obus et où les branches des arbres jonchent ce qui furent les allées, la rue, les cadavres des Allemands tués cette nuit que j’enjambe avec dégoût. Ils sont là, sept, au visage déjà vert et convulsé de peur, le corps est troué de coups de baïonnettes, un a reçu plus de vingt coups et le sang est figé autour des trous, petites fleurs rouges sur la pâleur de la chair. Puis, dans la rue, des nôtres aux capotes bleues et des ruines, des dessins au fusain sur des pans de murs où les Boches nous caricaturaient et toujours ce déchirement de la torpille qui éclate et le frôlement de la balle qui siffle. On fait vite.

cuistots bdic fr

Les cuisiniers apportant leur repas aux combattants (ici en hiver:bdic.fr)

 

Je ramène quelques blessés tout à fait abrutis, et, au jour, nous sommes au calvaire. En repassant au château dont je trouve commode de traverser le rez-de-chaussée, je vois le génie qui repose tranquille. Pauvres gens qu’un obus devait massacrer une heure environ après mon passage en faisant écrouler ce qui restait de la maison qui, le soir, ne sera plus qu’un amas de ruines. À « Alpenhütte », tout le monde dort encore, et je regarde le paysage par-dessus le parapet. Nous sommes à mi flanc du coteau qui descend vers Neuville. Je vois distinctement le carrefour des Tilleuls et les arbres de la Folie. Les gros fusants s’écrasent sans cesse sur Neuville d’où montent des colonnes de fumée et de poussière. Notre 75 tape à notre droite dans les réduits du Labyrinthe que nous encerclons presque. La journée serait calme si les pertes des 3ème et 2ème ne venaient l’attrister ; le boyau de Neuville est bombardé sans trêve, et nous restons dans la sape à attendre la nuit et que ce jour s’en aille comme les autres. Le soir, je retourne à Neuville. Les compagnies se sont un peu retranchées et n’ont pas attaqué. Elles pensent obliquer à gauche et se rapprocher de l’église et de l’école. Le château est écroulé, et on le contourne par un boyau. On commence à creuser un autre boyau dans les maisons du côté sud de la rue qui évitera bien des morts à coup sûr. Au demeurant, même tableau, même horrible vision à laquelle malgré tout je commence à m’habituer.

 

blessé2 unmondedepapier Com

Je ramène quelques blessés... (unmondedepapier.com)

 

Extrait du livre « Les carnets du sergent fourrier » :

http://www.editions-harmattan.fr/index.asp?navig=catalogue&obj=livre&no=41720

 

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Commentaires
De brique et de broque
  • Ce blog reprend, depuis la fin 2015, la publication d'extraits d'un livre que je souhaite rééditer, les "Ecrits d'exil" de Maurice Gabolde, mon GP. Auparavant ce furent les extraits des "Carnets du sergent fourrier". Voir aussi (http://gabolem.tumblr.com)
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