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De brique et de broque
14 mai 2015

C'était il y a 100 ans, ... le vendredi 14 mai 1915, aller-retour entre Neuville-Saint-Vaast et les tranchées du Labyrinthe

14 mai 1915 – vendredi

 

Pendant la matinée, je demande au commandant la permission d’aller à Neuville, de jour, voir si les compagnies ont changé de place afin de n’avoir pas le soir à recommencer les tragiques tâtonnements de l’avant-veille. Je promets de prendre toutes les précautions d’usage et je m’embarque, via le boyau de Neuville et le calvaire, pour le village. Le parc du château est très bombardé pour l’instant, et j’en suis le mur pour le contourner en marchant à quatre pattes. Les éclats, les feuilles et les branches d’arbres s’abattent autour de moi, mais le long du mur on est relativement à l’abri. Au carrefour où les Allemands ont toujours le ventre en l’air, quelques balles saluent mon passage et me paraissent venir de l’école que je suppose être un bâtiment dont les ruines et pans de murs sont plus haut que ceux des maisons avoisinantes. Je me glisse le long des murs de la rue du bas, la plupart sont debout, mais l’intérieur vu par les trous des portes et fenêtres n’existe plus. Des dessins au fusain les recouvrent ou des indications sur des bouts de planche indiquant que l’ennemi avait divisé le village en secteurs.

caricature sur les français 3

Ces dessins au fusain devaient refléter l'état d'esprit des caricatures allemandes de l'époque (static1.akpool.de)

 

À la maison qu’occupait la 1ère, je trouve du 37ème, et un agent de liaison me conduit dans l’îlot de l’église à une maison située entre cour et verger que je n’aurais jamais découvert de nuit et où se trouvent le capitaine Perrey et Castille. Ils occupent la cave profonde et voutée, prolongée par un abri blindé et solidement organisé par l’ennemi durant la campagne d’hiver. Ils ont trouvé des conserves, des journaux, des lettres, et je passe la matinée avec eux, parce que le bombardement régulier de la rue exige que personne ne mette le nez dehors. Les balles de fusil viennent claquer contre le mur du jardin, et nos hommes sont en arrière de ce mur qu’ils ont organisé en y perçant des créneaux, mais les torpilles et les bombes rendent leur situation toujours meurtrière et critique. L’ennemi paraît vouloir défendre le village maison par maison, et cette guerre des rues use une troupe qui y fait des pertes continuelles et qui finissent par chiffrer. Le rez-de-chaussée de la maison est éventré du côté de la cour et donne de cette dernière l’impression d’un décor de théâtre vu de la salle, car l’intérieur est relativement intact avec ses cheminées, ses suspensions et quelques tableaux échappés dans la tourmente ; la plupart des glaces, tableaux de famille se trouvent dans la cave où les Boches avaient créé une sorte d’intérieur confortable en dissimulant les murs par des tentures et des rideaux de lits. Ce ne fut pas le seul P.C. ainsi aménagé dans une cave que je vis dans Neuville. Je me souviens de certains décorés de dessins et même de poésies sentimentales à la manière de Heine[1]

Heinrich_Heine

 Figure 66 : Heinrich Heine[i]

 

Vers midi, accalmie dont je profite aussitôt ; l’heure du repas est sacrée pour les Boches, et, pendant cette trêve, je regagne sans être inquiété l’ouvrage en cœur où l’on commençait à s’interroger sur mon sort. L’après-midi se passe suspendu au téléphone à suivre l’attaque que fait le 2ème bataillon que commande le capitaine Vétillart depuis la blessure du commandant Azan. Il se trouve en avant de nous, face à la route de Lille – Arras et essaye d’enlever le boyau « von Klück » pour atteindre le fortin, partie du Labyrinthe presque isolée mais puissamment organisée. Il réussit d’abord et entre dans « von Klück » avec deux compagnies, mais une contre-attaque débouchant de la droite pendant que sa gauche était arrosée de vitriol et de liquides enflammés le contraint à l’évacuer avec quelques pertes. Comme il me le dit plus tard, ce fut l’abondance d’hommes qui le gêna le plus ; quand il demandait seulement un canon de 37 et quelques grenadiers, on lui envoyait une brigade d’infanterie. La prise et la garde d’un boyau nécessitent 20 hommes résolus, et non pas une quantité de troupes qui s’écrasent dans les places d’armes, encombrent la circulation et se font massacrer dans les tirs de barrage.

Le soir, tout se calme un peu, et la nuit n’est coupée que de fusées et de rares fusillades.

Le commandant manifeste l’intention de venir avec moi, demain, avant le jour, à Neuville, voir ses compagnies, car tout fait prévoir que les deux autres unités du bataillon ne vont pas tarder à descendre, elles aussi, dans le village.

 

(en préparant ce poste je suis tombé sur ce lien qui n'est pas sans relation avec le site de Neuville-Saint-Vaast, même si le lien avec les événement ici relatés n'est pas direct: je le fournis quand même) 

https://www.youtube.com/watch?v=ZkEw_EO89S0

 

 

 

Extrait du livre « Les carnets du sergent fourrier » :

http://www.editions-harmattan.fr/index.asp?navig=catalogue&obj=livre&no=41720

 

 



[1] Christian Johann Heinrich Heine (1797, Dusseldorf – 1856, Paris), considéré comme le dernier poète romantique allemand.



[i] Figure 66 : Crédit photographique site sternenfall.de/Heine

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Commentaires
De brique et de broque
  • Ce blog reprend, depuis la fin 2015, la publication d'extraits d'un livre que je souhaite rééditer, les "Ecrits d'exil" de Maurice Gabolde, mon GP. Auparavant ce furent les extraits des "Carnets du sergent fourrier". Voir aussi (http://gabolem.tumblr.com)
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