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De brique et de broque
12 mai 2015

C'était il y a 100 ans, ... le mercredi 12 mai 1915, au cœur de la bataille de Neuville-Saint-Vaast

 

12 mai 1915 – mercredi

Neuville St Vaast rue Targette avant guerre

  Neuville-Saint-Vaast rue de la Targette, avant la  grande Guerre (notrefamille.com)

 

Vers midi, arrive au commandant Navel un ordre à transmettre aux 1ère et 4ème compagnies de se tenir à la disposition du général commandant la 39ème division pour attaquer dans Neuville. Le commandant ne conserve plus sous ses ordres que les 2ème et 3ème qui restent réserve de corps d’armée et doivent venir remplacer le long du boyau de Neuville les compagnies qui vont attaquer. Le commandant s’établira de sa personne à « Alpenhütte » où il fera installer le téléphone. Je pars aussitôt porter cette nouvelle aux compagnies d’attaque, sous un soleil torride dont l’effet étouffant se fait particulièrement sentir dans les boyaux profonds. Je n’avais jamais porté des ordres d’attaque et songeais alors que ce que je remettais c’était une sorte de décret de mort pour des amis, devenus, chaque jour, trop rares. Le mouvement commence aussitôt mon arrivée. Le capitaine Perrey (4ème) commande le groupe et a déjà reçu des ordres de la 39ème division d’attaquer les lisières Est de Neuville et le chemin de la cote 119 en débouchant des maisons de la rue du cimetière.

Neuville St Vaast la guerre maison par maison 1915 notrefamille com

Soldats français à l'attaque de Neuville-Saint-Vaast (notrefamille.com)

 

Une fois les unités parties, j’attends le commandant qui ne peut tarder à arriver et qui arrive effectivement deux heures après, très en colère des lenteurs inhérentes aux boyaux et au bombardement qu’il a attiré sur lui en traversant la route de Béthune devant la Maison-Blanche. Nous passons l’après-midi tristement, d’abord parce que les 2ème et 3ème sont arrosés sans répit le long du boyau de Neuville ce qui terrorise les hommes qui ne savent où aller, surtout parce qu’à cette heure les 1ère et 4ème se battent dans Neuville. Sitôt la nuit, j’obtiens du commandant la permission d’aller voir avec le petit Neveu ce qu’il est advenu de ma 1ère et si on peut en évacuer les blessés. Nous descendons le long du boyau de Neuville et arrivons à un calvaire situé presqu’à l’entrée du village. De là, un boyau qu’active le génie relie le calvaire au parc du château de Neuville. Nous traversons le parc et soufflons un instant dans le château qui tient encore debout. Mais, à partir d’ici, rien ne rendra l’impression horrible que faisait Neuville. J’avais pourtant 10 mois de campagne, et les visions tragiques de Montauban, Vitrimont et Saint-Éloi étaient toujours présentes devant moi, mais je reconnais que Neuville les surpassait toutes.

Neuville St Vaast maison en ruine face abreuvoir notrefamille com

Neuville-Saint-Vaast, un village depuis longtemps ruiné (notrefamille.com)

 

C’est un village depuis longtemps ruiné et massacré, mais qui a de plus sur les autres qu’il est organisé depuis longtemps aussi pour y résister. Tout y est machiné en vue de la mort et de la destruction. Le tir de l’artillerie y est plus précis que nulle part ailleurs ; tous les endroits où il faut passer sont arrosés sans trêve ni pitié ; enfin, les engins de guerre sont devenus plus nombreux et plus meurtriers : torpilles, grenades, mines, « minenwerfer », obus asphyxiants, vitriol, liquide enflammé ; on se sert de tout cela, et, dans le vacarme perpétuel d’une antichambre de l’enfer, la mort se découvre à tous les pas. Nous n’avons pas encore fait de boyaux, et les cadavres s’égrènent le long de la rue. Où trouver les compagnies ? Ce ne sont que lueurs fulgurantes dues aux fusées ou aux éclatements qui éclairent un instant les rues noyées d’ombre ; des hommes, le dos courbé, errent le long des murs, les coups de fusil claquent aux oreilles, et l’on trébuche sur des cadavres. Jamais vision de guerre ne fut si horrible, et jamais oreilles ne furent déchirées de plus d’éclatements.

lance flamme allemand farac org

Lance-flamme allemand (farac.org)

 

Nous nous accrochons à un homme : 69ème, 4ème, heureusement. Il nous guide. Nous nous glissons le long de murs écroulés. Nous enjambons des tas de pierre et de bois. Nous traversons des squelettes de maisons et, tout au bout de la rue du cimetière, nous pénétrons dans des ruines et arrivons au bout d’un jardin, le long d’une petite haie de lilas. Chut ! L’ennemi est à vingt mètres et il nous envoie du vitriol ou des grenades, si l’on parle. Je trouve Castille dans cet enfer. Nous nous embrassons presque. C’est ici que s’est arrêtée la progression, parce qu’on ne pouvait pas aller plus loin. Il me dit de le suivre dans la maison, car ici il ne faut pas parler. Et là, dans les murs, au milieu de la nuit et des éclairs de fusée, au bruit des grenades et des torpilles, il me raconte l’attaque. Ils ont débouché du calvaire et, comme ils n’ont pas vu le boyau du parc du château, ils se sont lancés en plein champ vers le parc. Là, premières pertes dues aux mitrailleurs du Labyrinthe qui les ont aperçus. Dans Neuville, rassemblement dans les vergers des maisons du côté sud de la rue du cimetière. Puis, en avant, à la baïonnette, avec un entrain admirable dans la rue à l’assaut des maisons de l’autre côté d’où l’ennemi, embusqué, tirait sans relâche. Les maisons sont enlevées, et la rue est dégagée depuis une heure, mais ils sont cloués dans les vergers où l’on ne peut avancer qu’à la sape. Sont déjà tués le sous-lieutenant Belle à l’entrée d’une maison, le brave Lavier de la 1ère en lançant une grenade, combien d’autres ?!

Neuville saint vaast gravure attaque

Une des attaques dans Neuville-Saint-Vaast (images.delcampe.com)

 

Comme je le questionne sur les positions de l’ennemi, il me dit juger les lignes fort enchevêtrées, l’ennemi doit tenir encore quelques tas de pierre du côté nord de la rue que j’ai suivie, et c’est ce qui m’explique les coups de feu partis à mon oreille. Ici, avec le jour, on tâchera d’y voir un peu clair. Pour le moment, il n’y a qu’à tenir malgré tout ce qui se déverse autour de soi et sur sa tête. Vraiment, si ceux qui sont responsables des guerres venaient un instant ici, ils n’auraient jamais trop de larmes pour pleurer sur leurs fautes. Peu d’hommes ont vécu dans un tel milieu, et plus rien d’humain ne persiste. Ici, je comprends le désir de voir râler l’ennemi et de tremper ses mains dans son sang. Je quitte Castille, la tête en feu, et nous revoici dans la rue, tellement abrutis que nous marchons à petits pas au milieu, comme si la mort ne nous guettait pas à chaque seconde. À l’entrée de la rue, devant le château, se trouve un carrefour d’où se détache la rue principale qui traverse le village et grimpe sur le coteau de Givenchy[1].

Neuville St Vaast avant guerre

La rue de Givenchy à Neuville-Saint-Vaast, avant guerre (notrefamille.com)

 

Il y avait ici une barricade que nous traversons, les premières maisons de la rue principale sont seules à nous, et l’école est encore tenue par l’ennemi. La rue est impitoyablement enfilée par les mitrailleurs, et les cadavres s’entassent au carrefour. Des cris et des râles frappent nos oreilles, au traverser de la barricade. Ce sont des hommes de chez nous qui transpercent à coup de baïonnette des Allemands qui émergent des ruines toutes proches et se laissent tuer comme pétrifiés de peur. J’approuve les nôtres et suis heureux de les aider à coup de crosse de fusil. Ici, tout est excusable ; le milieu infernal vous grise abominablement et inspire tous les actes que l’on accomplit automatiquement. Le seul responsable est celui qui a voulu que sur terre existât un mercredi 12 mai 1915 à Neuville.

baionnette combat photo rmn fr

Corps à corps à la baïonnette du peintre roumain Stoica Dimitrescu (photo.rmn.fr)

 

Nous rentrons à l’ouvrage en cœur, las et comme rompu de coups. Je raconte brièvement au commandant la situation des compagnies et m’étends en travers du boyau pour dormir.

soldat endormi

 Soldat endormi de Lucien Ott (europeana1914-1918.eu)

 

Extrait du livre « Les carnets du sergent fourrier » :

http://www.editions-harmattan.fr/index.asp?navig=catalogue&obj=livre&no=41720

 



[1] Givenchy-en-Gohelle est à quatre kilomètres au nord de Neuville-Saint-Vaast et ne doit pas être confondu avec Givenchy-le-Noble qui se trouve à 20 kilomètres au sud-ouest, près de Villers-Sir-Simon (lieu de repos).

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De brique et de broque
  • Ce blog reprend, depuis la fin 2015, la publication d'extraits d'un livre que je souhaite rééditer, les "Ecrits d'exil" de Maurice Gabolde, mon GP. Auparavant ce furent les extraits des "Carnets du sergent fourrier". Voir aussi (http://gabolem.tumblr.com)
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