C'était il y a 100 ans, ... le lundi 19 avril 1915, à Saint-Pol-sur-Ternoise
19 avril 1915 – lundi
Comme nous avons l’assurance officieuse de passer encore cette journée à Troisvaux, je descends passer la matinée à Saint-Pol et y faire des achats. De bonne heure, par une belle matinée de printemps, je gagne la ville toujours pareillement encombrée de convois et des services de l’arrière. Les rues sont étroites et pavées pointu comme dans le nord de la France.
Les pavés pointus du Nord (cyclismactu.net)
Peu de monuments intéressants, en revanche le spectacle de la rue retient. On sent la petite ville de province galvanisée brusquement par le rôle nouveau de centre d’armées que la guerre lui impose. Les commerçants ne doivent pas s’en plaindre, toute maison a sa boutique, et l’on s’approvisionne aussi bien qu’à Paris. Tous les uniformes sont représentés, et l’on y voit jusqu’à des Allemands qui balayent les rues. La moindre place ou le moindre carrefour est encombré de convois et d’automobiles, et les lourds caissons d’artillerie ébranlent les vitres de la petite ville. Après des achats et un examen détaillé des devantures que je fais en badaud sevré depuis longtemps de ce plaisir, je vais rue d’Arras voir un collègue de mon père qui lui fera parvenir de mes nouvelles directement. Puis, je me promène un peu et note les numéros de corps ou de régiments qu’offrent les hasards des rencontres : 9ème corps, 20ème corps, 10ème corps, nombreux états-majors de divisions de cavalerie indépendante et la foule innombrable des secrétaires d’état-major et du Trésor et Postes.
Les badauds regardent balayer les prisonniers allemands (retro-photo.fr)
Vers midi, je regagne Troisvaux à petits pas, car il fait très chaud et très lourd. Le printemps est précoce et insolemment beau, malgré les tristesses de la guerre. L’après-midi se passe chez le curé du village à jouer de l’harmonium, puis à recevoir le communiqué allemand que nous transmet obligeamment le service de T.S.F. installé depuis l’hiver à Troisvaux. Les employés sont presque du pays, et ce sont eux qui servent les clients militaires de passage dans les deux estaminets de l’endroit. Le soir, un camarade de la liaison, Bigot, nous joue un peu de violon. On chante et on rit dans la confiance mutuelle créée par un hiver de guerre passé ensemble. Et c’est encore une bonne nuit de sommeil dans la paille du grenier où l’on accède par une haute échelle.
Un soldat du service de TSF joue d'un instrument à cordes (gallica.bnf.fr)
Extrait du livre « Les carnets du sergent fourrier » :
http://www.editions-harmattan.fr/index.asp?navig=catalogue&obj=livre&no=41720