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De brique et de broque
29 avril 2015

C'était il y a 100 ans, ... du jeudi 29 avril au lundi 3 mai 1915, en cantonnement à Viller-Sir-Simon

29 avril au 3 mai 1915 – jeudi au lundi

 

Carte Viller 29 avril 1915

De Maroeuil à Viller-Sir-Simon (google-earth.com)

 

Les troupes heureuses n’ont pas d’histoire. Je ne dirai pas grand-chose aussi de Villers-Sir-Simon. Nous y goûtâmes un vrai repos et y profitâmes de la vie comme des gens qui savent que leurs heures sont comptées. Villers en d’autre temps m’eût paru monotone, et son séjour insipide ; être obligé d’y passer quelques jours, une vraie corvée. En ces veillées d’armes, je ne trouve pas de mots pour rendre le bonheur et la gaieté qui présidèrent à notre séjour. Plus tard, je vins au repos à Pénin, à Manin[1], qui étaient cependant mieux que Villers. Je les aimais moins, car la mort était déjà passée parmi tous ceux qu’un hiver de guerre avait unis des liens de l’amitié et des illusions d’une fin rapide de la guerre et parce que beaucoup avaient disparu dans l’enfer horrible de Neuville-Saint-Vaast et les tranchées du Labyrinthe.

Villers-Sir-Simon-Eglise-Juillet-2006

L'église, elle aussi est minuscule...(wikipedia.org)

 

Villers-Sir-Simon est tout petit. Un bataillon en remplit vite toutes les granges. L’église, elle aussi, est minuscule, et, le dimanche 2 mai, Monseigneur Ruch[2] fera son allocution en plein air devant le porche pour que tout le monde entende. Il y a deux ou trois grosses fermes où l’on nous cédait du cidre et du vin et un petit café au carrefour des routes de Pénin et d’Izel. Le reste, ce sont de petites constructions en torchis étayé de poutres avec le toit de paille pointu. Chez M. le maire qui habitait la plus belle ferme du lieu logeait le colonel et la musique du régiment se faisait entendre tous les soirs au carrefour. Les hommes dansaient autour, le café sortait quelques tables, et les indigènes ne manquaient pas un morceau. 

Charles_Ruch_évêque_de_Strasbourg_1913 (1)

 Figure 57 : Charles Ruch en 1913[i]

 

Quelquefois, une automobile poudreuse traversait en vitesse la place, et ceux qui la montaient et qui venaient du front devaient se reposer les yeux sur ce tableau pittoresque où les uniformes bleu-horizon se mariaient à la verdure de ce petit carrefour champêtre. Le soir, nous dînions avec des camarades invités dans les compagnies. On chantait les chansons à la mode. J’y écoutais Bouyer, un des derniers de l’active, nous charmer avec « les grands oiseaux » de Botrel[3], Bigot et d’autres, qui devaient tragiquement disparaître.

Je parcourus les environs avec Baron, l’ordonnance du commandant, que j’accompagnais dans la promenade des chevaux.

chevaux au repos laguerredejean canalblog com

...  que j’accompagnais dans la promenade des chevaux (laguerredejean.canalblog.com)

 

À Pénin, d’abord, où nous déposâmes des armes et équipements boches chez le curé qui s’offrit à les garder pendant la guerre. À Maizières[4], où cantonnait la cavalerie et dont les cafés étaient très bien approvisionnés. À Ambrines[5], où se trouvait au repos des régiments du 17ème corps qui traînaient la savate dans les rues. À Givenchy-le-Noble[6], où il y a un beau château et une belle perspective dans le parc. À Avesnes-le-Comte[7], enfin, qui était le centre d’approvisionnement de tous ces villages épars dans leurs vergers. Avesnes est une petite ville, aux longues rues, aux maisons de pierre, aux boutiques nombreuses et bien fournies. Sa situation à l’arrière du front et son importance comme point de concentration de troupes et centre d’états-majors lui avaient donné une vie mouvementée qu’elle ne devait connaître que de bien loin les jours de foires ou de marchés. Avesnes faisait bien ses affaires, et les approvisionnements ne devaient guère avoir le temps de moisir dans les magasins. Finie la période d’incertitudes sur le sort du lendemain qu’elle traversait en octobre dernier quand je parcourais ses rues désertes aux boutiques closes et où les lanternes rouges révélaient seuls la présence d’êtres humains qui souffraient. Avesnes pour l’instant est tout à gagner de l’argent en profitant de l’importance que la guerre lui a donnée.

avesne05

 Dans les rues d'Avesnes-le-Comte (http://cartophilia.free.fr/avesnes)

 

 

 

Extrait du livre « Les carnets du sergent fourrier » :

http://www.editions-harmattan.fr/index.asp?navig=catalogue&obj=livre&no=41720



[1] Manin est à un peu plus de deux kilomètres au sud-ouest d’Izel-lès-Hameau.

[2] Charles Joseph Eugène Ruch (24/09/1973, Nancy – 30/08/1945, Strasbourg), coadjuteur de l’évêque de Nancy depuis 1913, aumônier des armées en 1914-18, évêque de Nancy, puis de Strasbourg qu’il dut évacuer lors de l’occupation allemande et où il revint mourir en août 1945.

[3] Théodore Botrel (1868, Dinan - 1925, Pont-Aven), auteur-compositeur-interprète de « La Paimpolaise » et de « Goélands et goélettes » dont un couplet se chante :

Les grands oiseaux, d’aventure

Vont se perdre dans les cieux

Les bateaux et leur mâture

Tendent leurs longs bras vers eux…

[4] Maizières est à trois kilomètres à l’ouest de Villers-Sir-Simon.

[5] Ambrines est à deux kilomètres au sud-ouest de Villers-Sir-Simon.

[6] Givenchy-le-Noble est à un kilomètre et demi au sud de Villers-Sir-Simon.

[7] Avesnes-le-Comte est à cinq kilomètres au sud-sud-est de Villers-Sir-Simon.



[i] Figure 57 : Crédit photographique site wikipedia.org

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De brique et de broque
  • Ce blog reprend, depuis la fin 2015, la publication d'extraits d'un livre que je souhaite rééditer, les "Ecrits d'exil" de Maurice Gabolde, mon GP. Auparavant ce furent les extraits des "Carnets du sergent fourrier". Voir aussi (http://gabolem.tumblr.com)
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