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De brique et de broque
28 avril 2015

C'était il y a 100 ans, ... le mercredi 28 avril 1915, en partant vers un lieu de cantonnement

28 avril 1915 – mercredi

 

Il faut, nous transmet le bureau du colonel, nous attendre à faire mouvement le soir et à gagner un vrai cantonnement de repos. L’attaque est encore trop éloignée pour qu’on songe à nous laisser tout le temps à Marœuil, où notre 3ème bataillon vient, du reste, nous remplacer dans nos cantonnements ce soir même. La joie du départ fait relâcher la consigne sévère qui fait rester les hommes dans leurs granges. Puis, il y a vraiment trop longtemps que l’ennemi n’a pas tiré sur Marœuil. Le tout est que l’épreuve commence vers 2 h de l’après-midi. Je me trouvais dans le cantonnement de la 1ère, installé dans une ferme de la rue de l’Église, lorsqu’un sifflement bien connu se fait entendre, suivi aussitôt de deux éclatements en avant de nous. Une poussière et une fumée bien dense s’élèvent aussitôt. Le percutant est tombé en plein dans une maison. Mais, rapidement, nous voyons que l’ennemi raccourcit son tir et qu’il en veut aujourd’hui à l’église et à la rue qui borde son abside où sont logés nos compagnies. Les sifflements et éclatements se rapprochent, et, à en juger par le déplacement de l’air et l’ébranlement du sol, ce sont des obus de gros calibre qui viennent de chez les Boches. Je m’accoude à une porte de cave voisine et attends que l’orage passe. Mais voici qu’un obus a éclaté au milieu du pré voisin où s’entassent nos canons roulants et nos trains de combat. Des chevaux sont blessés et, ayant rompu leurs traits, courent de toute part. Malgré l’ouragan de fer qui s’abat sur Marœuil, on cherche à les attraper entre deux obus, et nous pouvons en amener deux jusque devant la cave où j’ai cherché un abri provisoire.

chevaux blessés

Les chevaux ausssi payent leur tribut à Moloch, Mars, Bellone, Tyr et Odin (lader.skyrock.com...bertrix...)

 

Nous comptons les obus et vers la trentaine nous sentons que ce doit être la fin et essayons de regagner la rue. Comme je la traversai en courant dans la direction de notre villa, le déplacement d’air habituel à l’obus qui arrive à fond de course me fait me jeter sous un auvent de grange, et le percutant arrive en plein dans une grange occupée par notre 3ème compagnie qui l’évacuait en hâte. Un malheureux a les deux jambes arrachées, et je trouverai son soulier sur un arbre voisin. D’autres sont blessés assez légèrement. La voiture d’ambulance du bataillon qui était auprès a ses brancards coupés net, et tout un pan de mur du poste de secours est écroulé. Ce fut le dernier obus de la journée. J’arrive tout essoufflé à la villa où tout le monde est réfugié à la cave.

Explosion

Un obus dans la nuit de Georges Scott, avril 1915 (dessins14-18.fr)

 

Les premiers obus ont surpris le commandant causant au milieu de la rue de la mairie, et il a eu le temps de regagner en hâte son cantonnement. Un de nos agents de liaison, le petit Neveu a été comme moi déplacé du sol par le vent d’un obus qui a éclaté en avant de lui. Maintenant que tout est redevenu calme, les territoriaux nettoient les rues remplies de tuiles et de pierres et repoussent les décombres contre les murs. Il y a eu une dizaine de tués dont plusieurs civils ; c’est le taux ordinaire d’un bombardement à Marœuil. On vient reboucher un énorme trou qui occupe le beau milieu de la rue de l’église et où un passant pourrait bien se rompre le cou, sitôt la nuit. Après toutes ces émotions, nous dînons d’excellent appétit avec la perspective d’un repos dans un lieu où il ne tombe pas d’obus, en pleine campagne à cette saison surtout où il fait si bon marcher sur les routes fleuries et reposer sur l’herbe verte. Nous allons être servis à souhait. Au printemps, l’Artois est un vrai bocage, et les villages enfouis dans la verdure de leurs vergers, des oasis de calme et de repos. Des œufs frais, beaucoup de légumes et des fruits complèteront à merveille le bon effet de la vie au grand air avant le coup de chien du 9 mai.

MAROEUIL-bombardement poste notrefamille com maroeuil

Les ruines de la poste de Maroeuil après un bombardement (notrefamille.com... Maroeuil)

 

À la nuit tombante, nous quittons Marœuil dont les maisons éclairées par le soleil couchant font un bel effet sur la verdure du bois d’Écoivres. Qui dirait à le voir d’ici qu’on y souffre et qu’on y meurt ?! Nous prenons la route d’Hermaville[1] qui suit le vallon de la Gy et que dominent les coteaux d’Haute-Avesnes[2] et d’Habarcq. Nous suivons le bois d’Habarcq qui sert de parc d’artillerie à d’innombrables régiments et, une fois Hermaville traversé, nous prenons la route d’Izel-lès-Hameau où deux bataillons de chez nous vont cantonner. Au carrefour du Hameau, le souvenir me revient d’une marche dans la nuit semblable à celle-ci. C’était l’automne dernier et qui eût dit alors que la guerre devait être si longue ?! Une dernière côte et nous pénétrons dans notre lieu de cantonnement : Villers-Sir-Simon[3] qui fait plutôt l’effet d’un bois que d’un village. Son tout petit clocher n’émerge même pas des arbres séculaires qui l’enclosent. Nous sommes logés dans une coquette ferme, dernière maison du village sur la route de Pénin[4]. Les habitants nous attendent et nous offrent du café chaud. Bonnes gens qui étaient bouleversés à l’idée que nous les quitterons pour attaquer et qui firent promettre de leur écrire ce que nous serions devenus, ajoutant qu’ils penseraient bien à nous ces jours-là.

troupe en mouvement geo michel

 Troupe en mouvement de Michel Georges Dreyfus (dessins14-18.fr... Geo Michel)

 

 

Extrait du livre « Les carnets du sergent fourrier » :

http://www.editions-harmattan.fr/index.asp?navig=catalogue&obj=livre&no=41720

 



[1] Hermaville est à neuf kilomètres à l’ouest de Marœuil.

[2] Haute-Avesnes est à cinq kilomètres à l’ouest de Marœuil et à trois kilomètres et demi au nord-est de Habarcq.

[3] Villers-Sir-Simon est à trois kilomètres à l’ouest d’Izel-Lès-Hameau.

[4] Pénin est à un kilomètre au nord de Villers-Sir-Simon.

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De brique et de broque
  • Ce blog reprend, depuis la fin 2015, la publication d'extraits d'un livre que je souhaite rééditer, les "Ecrits d'exil" de Maurice Gabolde, mon GP. Auparavant ce furent les extraits des "Carnets du sergent fourrier". Voir aussi (http://gabolem.tumblr.com)
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