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De brique et de broque
18 juin 2015

C'était il y a 100 ans, ... le vendredi 18 juin 1915, un peu en arrière à Marœuil

 

18 juin 1915 – vendredi

 

Un peu avant le jour, nous quittons le terrain bouleversé qui fut le boyau de l’Elbe et, par les boyaux du Profond Val, nous gagnons la route de Béthune et les ouvrages des Rietz bien connus de nous. Il fait grand jour quand nous arrivons à la parallèle de la cote 84 où nous allons un peu nous reposer. Mais, comme nous jouons de malheur et que la fatalité s’acharne sur nous, notre arrivée coïncide avec un bombardement intense de la route Rietz – Marœuil sur laquelle nos emplacements sont à cheval. Tout à coup, un bruit formidable emplit l’air ; je me sens soulevé du sol et me retrouve couché sur le dos au fond du boyau que je parcourais pour trouver de plus vastes emplacements à ma compagnie, pendant qu’autour de moi des morceaux de fer retombent sur le sol avec sifflement familier. Je me tâte et me retrouve intact, bien qu’abruti. Que vient-il de se passer ? Je regarde et vois s’élever en l’air un nuage opaque et blanc comme un gros nimbus, dans le ciel bleu. Un obus a atteint un dépôt de torpilles et de munitions établi le long de la route, et c’est ce dépôt qui vient de sauter à quelque cent mètres à peine. Je cours aux nouvelles et m’occupe aussitôt à porter secours aux victimes. Certains sont complètement réduits en bouillie, beaucoup sont atteints, la plupart peu grièvement. Une corvée de territoriaux qui passait le long du chemin a été entièrement anéantie.

pyrocumulus

Je ... vois s’élever en l’air un nuage opaque et blanc comme un gros nimbus, dans le ciel bleu. (maryannbridgephotography.com)

 

Le résultat voulu par l’ennemi doit être atteint, car il arrête bientôt son tir et nous laisse un peu de repos. Je peux enfin me débarbouiller avec un peu d’eau dans les tonneaux qui sont au bord de la route des Rietz et que les territoriaux remplissent chaque soir à Marœuil. Enfin et surtout, je m’étends au bord d’une tranchée et prends avidement un peu de repos. Vers 17 h, défilé de blessés, atteints par des gaz asphyxiants lancés sur le front de la Folie par l’ennemi, respiration sifflante, yeux injectés de sang, ils passent sur des brancards et se dirigent vers Marœuil.

 

soldats sur un brancard le miroir 18 04 19154

... ils passent sur des brancards et se dirigent vers Marœuil (reims1418.wordpress.com)

 

Enfin, à 18 h, ordre au bataillon de faire une nouvelle étape vers l’arrière et d’aller occuper l’ex parallèle 2, c’est-à-dire les ouvrages avoisinants la chaussée Brunehaut établis sur la cote 94. J’accompagne le commandant Navel qui va aussitôt en reconnaissance, mais, en route, un contrordre nous surprend. Ô plaisir ! Cantonnement immédiat à Marœuil d’où l’on partira pour quelques jours au repos. Je suis tout heureux, et la joie me guérit aussitôt de ma fatigue. Je pars en avant faire le cantonnement ; le bataillon ne devrait être à Marœuil que vers minuit. Nous chantons en descendant le chemin de Marœuil, un vrai chemin bordé d’arbres, et non plus un boyau étroit et étouffé, un terrain sur lequel il n’y a plus un seul arbre. À la mairie, on me donne une zone éparpillée aux quatre coins du village : heureusement que Marœuil n’a plus de secrets pour moi, et j’arrive rapidement à faire la reconnaissance de nos emplacements : route d’Anzin, rue de l’église – de triste mémoire –, bords du Merderet. Le commandant se voit réserver la « maison des baronnes ». Quel honneur et quelle bonne nuit en perspective ! C’est une longue chartreuse qu’entoure un beau jardin avec bassin et rocailles et que le service de santé a depuis longtemps accaparée. Par miracle, elle est jusqu’ici intacte et conserve des carreaux. Les propriétaires, deux vieilles femmes, surnommées « les baronnes », ont refusé de l’évacuer et s’y cramponnent malgré les bombardements et les ordres de l’autorité militaire.

 

chartreuse blanquefort chateau chollet blanquefort33 free fr

Pour se faire une idée d'une chartreuse (blanquefort33.free.fr)

 

Les compagnies arrivent ; mais ma 1ère a gardé un si mauvais souvenir de la rue de l’église que le capitaine Vétillart l’installe dans des tranchées creusées dans les vergers des rives du Merderet où elle ne tarde pas à s’assoupir enroulée dans ses toiles de tente.

Chez les baronnes, petite lutte avec des sanitaires que nous mettons à la raison. Le commandant s’installe dans le lit que devrait occuper le médecin divisionnaire s’il résidait à Marœuil, comme il le disait et auquel il préfère la sécurité de Haute-Avesnes. Pour moi, je m’installe dans une chambre mansardée où, sur un matelas, je goûte un repos bien gagné et peux enfin faire le tour du cadran sans la moindre alerte.

 

soldat endormi

 ...je goûte un repos bien gagné et peux enfin faire le tour du cadran sans la moindre alerte. (europeana1914-1918.eu)

 

Extrait du livre « Les carnets du sergent fourrier » :

http://www.editions-harmattan.fr/index.asp?navig=catalogue&obj=livre&no=41720

 

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Commentaires
De brique et de broque
  • Ce blog reprend, depuis la fin 2015, la publication d'extraits d'un livre que je souhaite rééditer, les "Ecrits d'exil" de Maurice Gabolde, mon GP. Auparavant ce furent les extraits des "Carnets du sergent fourrier". Voir aussi (http://gabolem.tumblr.com)
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