C'était il y a 100 ans, ... les mercredi et jeudi 2 et 3 juin 1915, à Pénin

2 et 3 juin 1915 – mercredi et jeudi

 ... le cultivateur voit grandir sa récolte ... (photo EG)

Le ciel est magnifique, ce sont les belles et chaudes journées de juin où le cultivateur voit grandir sa récolte et recueille déjà les fruits de son travail de l’hiver. Pour nous, ce sont des journées de repos sur l’herbe, entremêlées d’exercices dont, de mon verger, j’entends le bruit et les commandements. Le temps est propice au retour en arrière : je revois la route d’Agincourt[1], les prés de Pulnoy et de Saulxures[2] où les mêmes commandements retentissaient à nos oreilles. On se trouvait malheureux, et les anciens parlaient de la classe. Que tout est relatif ! Nous allons revenir d’ici peu nous raccrocher aux pentes de ce coteau de Thélus, les cartes et plans d’attaque nous parviennent chaque jour avec les pièces.

Une carte où l'on voit bien les coteaux de Thélus (horizon14-18.eu)

Puisse ce coup être le dernier ! Je le souhaite sans y croire. Toutes ces organisations sont trop formidables pour espérer les enlever si vite. Et puis, cela terminerait-il la guerre que nous faisons ? Des prisonniers défilent l’après-midi et font la halte devant le château où la brigade les examine. Ils sont bien deux cents et, sitôt là, permission donnée de s’arrêter, ils s’étendent ou restent debout immobiles, la capote sous le bras, dégoutants de sueur et de saleté. La musique joue à ce moment ; nous les entourons, et des nôtres vont remplir leurs bidons d’eau, car il leur est défendu de s’éloigner. Nos officiers causent avec la plupart : Lorettehöhe[3], Carency, revenaient souvent dans leur conversation. Il y a plus d’hostilité chez les gens du pays que chez nous. Chez eux, le sentiment de la sécurité provisoire domine. Tous viennent de passer de terribles moments, et ils jouissent de cette sécurité, comme l’animal qui se voit à l’abri des coups. Plus tard, ils raisonneront, mais pour l’instant c’est perdre son temps que d’interroger ces loques humaines. Ils appartiennent aux 161^ème, 21^ème et offrent un mélange de tous les âges, comme chez nous, du reste, dans nos régiments.

Prisonniers allemands par Georges Bertin Scott (peinturesetpoesies.blog50.com)

Presque aussi intéressant est de faire de la photographie ; c’est bien notre distraction ces temps derniers, et cela permet de donner aux siens des nouvelles illustrées qui valent toutes les descriptions. Ce seront des souvenirs après la guerre, disons-nous, car, malgré tout, l’espoir est encore ce qu’il y a de plus profond et de plus indéracinable en nous.

 ...la photographie ; c’est bien notre distraction ces temps derniers... (redtreetimes.com)

Extrait du livre « Les carnets du sergent fourrier » :

http://www.editions-harmattan.fr/index.asp?navig=catalogue&obj=livre&no=41720

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[1] Agincourt est un village situé à six kilomètres au nord-est de Nancy.

[2] Saulxures-les-Nancy, comme son nom l’indique, jouxte Nancy, à l’est et précède Pulnoy (déjà cité) qui se situe quelque deux kilomètres plus au nord.

[3] Lorettehöhe : les hauteurs de Lorette.