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De brique et de broque
18 mai 2015

C'était il y a 100 ans,... le mardi 18 mai 1915, dans la boue de l'Artois

18 mai 1915 – mardi

Neuville saint Vaast Labyrinthe carte annotée EG

 Pour rappel, un plan de la zone concernée (gallica.bnf.fr  archives départementales des Yvelines)

 

Toute la nuit, il a fallu rester debout dans le boyau sous la pluie et dans le froid. La boue s’élève sans cesse, et chaque homme qui marche envoie autour de lui des éclaboussures qui dépassent le plus haut parapet. Nous sommes des blocs jaunes et ruisselants, sans cagnas ni abris, debout à l’entrée d’un boyau qu’arrosent les obus. Comme, au jour, la situation est la même et que le retour de la lumière entraîne même une recrudescence de la pluie, le commandant décide de regagner l’ouvrage en cœur où « Alpenhütte » nous abritera tant bien que mal. Joie, l’abri est vacant. Nous y descendons en hâte et essayons d’allumer une bougie, mais plus aucune allumette ne fonctionne. Une, enfin, nous donne de la lumière, et nous pensons à manger après les deux jours de jeûne volontaire dans ce fichu boyau. Le bombardement de l’ouvrage est assez intense toute la matinée ; le boyau de Neuville notamment, soigneusement repéré, est fort endommagé. On nous amène un officier d’état-major blessé à la cuisse, dont nous faisons le pansement.

allumettes

Les allumettes faisaient normaleùent partie des rations de tabac distribuées aux soldats (artois1418.skyrock.com)

 

Dans l’après-midi, des ordres apprennent au commandant qu’il recouvre dès demain la totalité de son bataillon. Les deux compagnies de Neuville sont relevées, et ses deux compagnies en réserve vont occuper l’ancienne première ligne allemande située en avant du hameau des Rietz, entre la route de Béthune et le chemin Marœuil – Les Rietz. C’est la région du boyau « des marmites ». Le commandant m’envoie aussitôt en reconnaissance. Je suis très heureux. C’est le premier pas vers l’arrière et peut-être vers un repos bien gagné.

J’emprunte le boyau « des Saules », suis le « Profond Val » et traverse la route de Béthune sous un ponceau approfondi en tunnel. À partir de là, c’est notre nouvel emplacement. Je parcours ces boyaux enchevêtrés et cette sinueuse tranchée de tir qui, bien que bouleversée par notre artillerie, est le plus beau spécimen que j’ai vu de l’organisation défensive allemande : boyau étroit tapissé de sacs à terre, parsemé d’abris-cavernes et d’abris de mitrailleuses, emplacements des veilleurs isolés par des murailles de sacs à terre, contreforts contre les tirs d’enfilade, emplacements de vivres et munitions, postes de commandement blindés, très profonds et où l’on accède par un boyau d’une étroitesse incroyable.

 

tranchee_allemande (1)

 Figure 67 : Tranchée allemande[i]

 

Nos deux compagnies les plus éprouvées, celles de Neuville, utiliseront les abris de la 1ère ligne, les deux autres se caseront dans des abris individuels creusés le long de la route de Béthune, avant d’arriver aux Rietz. Le commandant a un abri profond, blindé et obscur, à la boche. À partir de ce soir, nous revenons à la disposition de nos chefs naturels et nous repassons réserve de corps d’armée.

Nos compagnies de l’ouvrage en cœur regagnent rapidement, sitôt la nuit noire, leurs emplacements et débordent même sur leurs sœurs de Neuville qui arriveront plus tard. J’attends jusqu’au jour ces malheureux qui, cahin-caha, éreintés et inondés, abordent enfin au boyau « des Marmites » où je leur avais donné rendez-vous. Leur colère est vive de voir les empiètements des autres compagnies, et les disputes n’en finissent pas. J’appelle à la rescousse le commandant Villeroy pour m’aider à caser tout le monde. Castille et le capitaine Nicolas s’insultent. Leurs hommes s’arrachent mutuellement des abris. Tout se calme enfin au jour ; chacun va dormir à l’heure où les paresseux de l’arrière sortent de leur lit. 

tranchées Premieres-lignes-dans-la-region-des-Eparges

 Ambiance pénible dans les tranchées de 1ère ligne (malvache.com)

 

Extrait du livre « Les carnets du sergent fourrier » :

http://www.editions-harmattan.fr/index.asp?navig=catalogue&obj=livre&no=41720

 

 

 



[i] Figure 67 : Crédit photographique site ville-sissonne.fr

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Commentaires
De brique et de broque
  • Ce blog reprend, depuis la fin 2015, la publication d'extraits d'un livre que je souhaite rééditer, les "Ecrits d'exil" de Maurice Gabolde, mon GP. Auparavant ce furent les extraits des "Carnets du sergent fourrier". Voir aussi (http://gabolem.tumblr.com)
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