C'était il y a 100 ans, ... le dimanche 16 mai 1915, sous le calvaire de Neuville-Saint-Vaast

16 mai 2015

C'était il y a 100 ans, ... le dimanche 16 mai 1915, sous le calvaire de Neuville-Saint-Vaast

16 mai 1915 – dimanche

Une cave servant d'abri (en.wikipedia.org)

Abandon de la cave, dès que pointe l’aube. Prises d’ordres au poste Chappart. On n’a pas besoin de nous ; casons-nous dans un petit coin et débarrassons les lieux. C’est plus facile à dire qu’à faire. Le commandant fait remonter une compagnie à l’ouvrage en cœur et laisse l’autre dans l’Elbe où elle est à peu près en sécurité. Pour nous, nous remontons à « Alpenhütte » que nous trouvons occupée par le commandant Guieu qui doit y avoir son poste de commandement. L’exiguïté du lieu nous force à aller ailleurs. Le commandant redescend vers Neuville et, vaincu de fatigue aussi bien qu’excédé de tous ces contretemps, s’installe dans un trou individuel d’homme juste sous le calvaire. Autour de nous, commence bientôt un vif bombardement. Les mouches mortelles volent et bourdonnent sinistrement. Il faut passer sa matinée à dégager des blessés ensevelis, et l’on succombe de fatigue et de saleté. « Alpenhütte » était pleine de vermine, et nous en sommes couverts. Je me confectionne un abri, le reste de la liaison m’imite. Mais tout croule à mesure qu’on creuse, et il faut retirer Bigot enseveli et étouffant presque du trou dont il s’était contenté.

Je me confectionne un abri, le reste de la liaison m’imite... (humanbonb.free.fr)

À la nuit, je vais voir les compagnies de Neuville et leur porter des papiers administratifs (en ce moment !) qu’on leur adresse par le commandant Navel, bien que tactiquement il ne les commande plus. Neveu m’accompagne pour me guider. Si la traversée de Neuville est calme, celle des vergers plairait à un amateur d’émotions. Perpétuellement visés par des balles plongeantes qui me paraissent venir des ruines et des toits, nous gagnons par petits bonds en zigzag les maisons occupées par les nôtres ; c’est leur seule communication avec l’arrière. Ajouter à cela qu’il ne faut pas se tromper : en effet, comme il n’y a ni fil de fer ni barricade, on pourrait gagner une maison encore boche. Dans la cave, où je trouve Castille, il me dit être nez à nez avec l’ennemi que l’épaisseur d’un mur sépare de lui. On se fusille à bout portant et on peut faire assaut à la baïonnette dans les vergers. Tout homme qui se montre est occis, la traversée des vergers pour corvées d’eaux ou cuisine lui a déjà coûté quelques hommes. Enfin, deux sentinelles sont déjà tuées de coups de feu à la tête. Dans une baraque voisine que je gagne en rampant, le lieutenant Barbe fume un cigare que vient de lui lancer un Boche plus humain.

...Barbe fume un cigare que vient de lui lancer un Boche plus humain (bu.univ-angers.fr)

Je suis surpris qu’on n’attaque pas d’un côté comme de l’autre, le corps à corps serait réalisé. Tout a été calme en général pendant la journée. Il n’y a que les grenades qui troublent cette veille, l’oreille perpétuellement en éveil. On vient prévenir Castille : deux Boches se glissent le long d’un petit mur voisin, quelques agents de liaison, sans doute. Je grimpe juste pour en voir tournoyer un que l’un des nôtres abat à 50 mètres. Quelques instants après, dans la nuit toute noire, je passe en rampant près de lui. Il respire encore. Je le regarde. Son corps est agité de soubresauts convulsifs, et je passe. Les balles claquent autour de nous, et nous allons vite.

Au calvaire, récit au commandant ; nous recherchons les maisons sur son plan au 10 000^ème, et j’essaie de dormir dans mon abri individuel où tous les curieux qui passent m’arrosent de café et de vin quand on ne prend pas ce coin noyé d’ombre pour un urinoir. Je préfère encore reposer assis dans le boyau, la tête entre les mains.