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De brique et de broque
10 mai 2015

C'était il y a 100 ans, ... le lundi 10 mai 1915, dans les tranchées du Labyrinthe

 

10 mai 1915 – lundi

 

Au fin matin, nous sommes troublés par les cyclistes du colonel qui viennent nous demander l’emplacement du 2ème bataillon qui est déjà passé dans les premiers ouvrages de l’ennemi que l’attaque d’hier nous a permis d’occuper. Ils sont allés jusqu’à notre ancienne 1ère ligne et, comme ils n’ont pas vu de boyaux encore tracés, ils n’ont pas osé se lancer à découvert pour rejoindre les lignes ennemies. Cet espace n’a du reste rien d’attrayant, il faut ramper au milieu de débris de fils de fer et de cadavres à tous les degrés de la putréfaction. Comme hier soir j’ai été jusque-là et que, même, à la faveur de la nuit, je me suis glissé dans ces parages, je m’offre à les remplacer et à partir à la recherche du bataillon, si toutefois l’on me donne la matinée. J’ai toujours beaucoup aimé les explorations solitaires où l’on n’est pas préoccupé par le danger que courent ceux qui vous accompagnent et les imprudences qu’ils font. J’étais devenu un vieux loup de guerre qui connaît les précautions à prendre et qui avait appris qu’on passe partout si l’on est habile. Les cyclistes sont enchantés et le commandant me félicite, car il sent que, à l’heure où il faudra passer dans ce dédale qu’il devine inextricable, je lui servirai encore de guide.

barbeles2

Soldat mort dans les barbelés, après 1915 car il porte un casque (inmemoriam-leon.fr)

 

Au passage de la 1ère ligne où se trouve le capitaine Vétillart, il me rabroue amicalement de me lancer dans des expéditions pareilles. J’ai mis jugulaire au menton et pris le révolver de Jubain à la place de fusil. Je traverse en rampant l’espace entre les deux tranchées en utilisant ce qui fut le fossé de la route de Béthune et qui est couvert de hautes herbes, ce qui me vaut de mettre en plein la main sur une tête en putréfaction pendant que je rampe sur le corps qui sent épouvantablement mauvais.

 

labyrinthe allemand mai juin

 La progression du 9 mai 1915 (blogs.ac-amiens.fr/)

 

Dans la ligne allemande complètement bouleversée, je ne vois personne. Je me lance dans un boyau qui descend vers Neuville et me heurte à une porte de jardin en fer qui barre le passage, c’est l’entrée de l’ouvrage en cœur, comme je l’apprendrai demain. Bientôt, il faut rebrousser chemin, car le boyau est bouché par des sacs de terre qui forment barricade. L’ennemi doit encore tenir par ici. J’oblique à gauche vers la route de Béthune. Où se trouve donc ce fameux bataillon ? Ici, le boyau est plus qu’étroit et tortueux, tapissé de sacs à terre dont les lambeaux pendent le long des parois. Je descends parallèlement à la route de Béthune vers les Rietz.

 

labyrinthe neuville 9 mai

 La prise du Labyrinthe par l’infanterie française (blogs.ac-amiens.fr/)

 

Enfin, voici des hommes du 69ème qui me disent que le commandant Azan est le long de la route dans le fossé. Il continue à progresser par les boyaux et son opération est gênée par le Labyrinthe qui tient toujours et le prend de flanc. Je le découvre rapidement, accroupi dans le fossé avec les capitaines Lafontaine (7ème), Desnoyelles (7ème) et Bellemayer (6ème). Mon arrivée est la bienvenue. Je lui porte des ordres qu’il parcourt rapidement. Il n’a en effet vu venir personne du colonel depuis hier après-midi, le moment où il est parti de la tranchée française. Il me confie des comptes-rendus et me donne un de ses agents de liaison pour que je lui montre le chemin par où je suis venu. Comme je me disposais à partir, un arrosage de 130 juste au-dessus de nous me bloque un instant au fond du fossé. Je profite d’un intervalle de salve pour partir avec rapidité. Quelques instants après, en effet, à cet endroit même, le commandant Azan, les capitaines Lafontaine et Desnoyelles étaient blessés assez gravement par les énormes shrapnels.

Labyrinthe_attaque 002

Une attaque à partir d'un fossé proche du Labyrinthe (riboulet.info)

 

Suivi de mon agent de liaison, nous regrimpons vers la Maison-Blanche, mais dans le dédale de boyaux je m’engage dans un que je n’avais pas encore parcouru. Il est bordé de cagnas profondes et, comme je passe devant une, une voix s’élève du fond. C’est un Allemand qui, blessé, est venu se réfugier, affolé, dans cet abri au moment de la prise de la 1ère ligne et y demeura tout hier et toute la nuit, absolument terrorisé. Il se décide à sortir à grand peine et, quand je lui dis que je vais le ramener en arrière et qu’il est prisonnier, sa joie se lit sur son visage. Pas « kapout »[1] et il fait le geste « non » en montrant sa tête. Pour moi, je suis enchanté de mon expédition qui me vaut un prisonnier. Je suis obligé de lui donner un bâton que j’avais trouvé, car, blessé à la jambe, il va fort lentement. Le passage entre les deux tranchées – pourquoi diable n’y a-t-il pas de boyau ? – est périlleux. L’Allemand ne peut ramper, car il souffre beaucoup. Il manque aussi de se faire tuer par les siens qui le voient du Labyrinthe tout proche et lui tirent dessus malgré son uniforme « feldgrau »[2]. Je serais furieux s’ils « amochaient » mon prisonnier. Après compte-rendu au commandant, je vais chez le colonel, un peu plus bas, au poste de la Moissonneuse accompagner le Boche et lui donner des explications sur la situation du 2ème bataillon. Il me remercie vivement et me dit qu’il se souviendra de cette petite équipée.

L’après-midi est peu fertile en incidents. Nous restons à la même place, et je dors dans le boyau, car la nuit est très belle et très chaude.

prisonnier 14-18 institut de france fr gayraud

 Quand se rendent les soldats allemands (dessin de A.Gayraud :14-18.institut-de-france.fr)

 

Extrait du livre « Les carnets du sergent fourrier » :

http://www.editions-harmattan.fr/index.asp?navig=catalogue&obj=livre&no=41720

 

 



[1] « Kaputt » : cassé.

[2] « Feldgrau » : couleur vert-gris des uniformes allemands qui désigne également le soldat allemand lui-même, en argot militaire.

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De brique et de broque
  • Ce blog reprend, depuis la fin 2015, la publication d'extraits d'un livre que je souhaite rééditer, les "Ecrits d'exil" de Maurice Gabolde, mon GP. Auparavant ce furent les extraits des "Carnets du sergent fourrier". Voir aussi (http://gabolem.tumblr.com)
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