C'était il y a 100 ans, ... le samedi 17 avril 1915, en route vers Cassel
17 avril 1915 – samedi
De Houtkerque à la gare de Cassel (google-earth.com)
Nous ne sommes pas là pour longtemps, et l’on apprend avec le jour qu’il faut se préparer à gagner le soir en une étape Cassel[1] où nous embarquons pour X. Comme on a la journée devant soi, on profite avec avidité de ces derniers jours de tranquillité. Le matin : pêche à l’étang et l’après-midi : promenade à Houtkerque faire divers achats. Le pays est petit, mais bien ravitaillé. On commence à voir des boutiques de boucher, chose bien rare en Belgique où le charcutier tient la 1ère place. Je vais dans plusieurs magasins, et les soldats sont très bien accueillis.
Les Allemands aussi aimaient bien taquiner le goujon (centenaire.org)
Dans la Grand-Rue, je vois défiler le 60ème d’artillerie qui gagne lui aussi la France sans embarquer ; nous ne devons donc pas aller bien loin, à coup sûr pas en Alsace comme le bruit en courait.
Vers 17 h, après un bon dîner et les remerciements à nos hôtes, le bataillon se rassemble sur la route d’Houtkerque que nous traversons dans le soir qui tombe. La nuit est très belle et très claire. On entend bien loin le bruit assourdi du canon. Le pays est plat et boisé, petits boqueteaux, rangées de peupliers et de saules, prés clôturés que séparent de petits ruisseaux, étangs et marais, c’est l’attachant pays des Flandres dont la monotonie agréable séduit et retient.
La campagne flamande quand tombe le soir (Fotofilou fotocommunity.fr)
Nous gagnons, avec des haltes nombreuses, Le Drogland[2] et Winnezeele.[3]Puis le pays devient accidenté. Des vallons, des côtes et, à l’horizon, le profil sombre et pointu de la montagne de Cassel qui retient le regard. Mon commandant connaît le pays à fond et plaisante sur la célébrité de cette côte dont la pente est terrible aux voitures et dont nos carrioles vont faire l’expérience. On souffle un bon moment au carrefour de la route de Steenvoorde et, en avant : à l’assaut de Cassel. La route grimpe à flanc de coteau du mont des Récollets et atteint après un lacet le sommet du piton. Repos et moment d’admiration. Nous gagnons avec le commandant une haute terrasse. Le coup d’œil est féérique et reste une de mes impressions de guerre les plus fortes.
Peinture du Mont Cassel au XVIIème siècle (westhoekpedia.org)
L’horizon qui est immense et s’étend de la mer du Nord à Lille est le plus beau panorama du front dont on puisse rêver. Dans cette nuit claire, les fusées et lueurs du canon jalonnent la ligne de feu. La boucle d’Ypres se détache merveilleusement dans la nuit. Le roulement du canon nous arrive affaibli, mais perceptible. Un secteur s’éclaire tout d’un coup : une attaque peut-être ou une simple patrouille. Puis, un autre et un autre. Ce spectacle est merveilleux, et je comprends notre commandant d’armée qui avait ici son Q.G.
Déjà en 1677 Cassel dominait un champ de bataille, entre Français et Pays-Bas espagnols (arts.cafeduweb.com)
Mais il faut gagner la gare. Pour raccourcir, le commandant qui connaît son Cassel par cœur nous fait engager dans un chemin qui descend presque à pic l’autre côté du mont vers la gare. Le chemin est encaissé entre le mur d’un grand parc et de hautes haies d’aubépines toutes fleuries. À proximité de la gare qui est au pied du mont, nouvelle halte et préparatifs d’embarquement. Il faut parlementer longtemps, ajouter de nouveaux wagons, et c’est au petit jour seulement que notre train s’ébranle dans la direction de Dunkerque.
En 1915, les trains étaient tractés par des machines faisant facilement du 100 km/h, telle cette Atlantic Nord (antiqbrocdelatour.com)
Je quitte à regret cette Flandre si douce, si subtilement attachante pour qui a su regarder son paysage fait d’harmonie et de régularité dans les brouillards légers qui montent de son sol, pauvre martyr de la guerre, terre d’héroïsme et d’indomptable énergie.
Les brouillards légers qui montent de son sol (Jacques Robert vuesdunord.skynetblogs.be)
Extrait du livre « Les carnets du sergent fourrier » :
http://www.editions-harmattan.fr/index.asp?navig=catalogue&obj=livre&no=41720