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De brique et de broque
8 février 2015

C'était il y a 100 ans, ... au cours de l'hiver 1914/1915, au cantonnement d'Elverdinghe

Elverdinghe

 

cantonnement Elverdinghe horizontal

 

Figure 38 : Croquis du cantonnement d’Elverdinghe par Maurice Gabolde

 

Ce fut, avec Woesten, le cantonnement préféré et celui que nous occupâmes le plus souvent. Là, nous débarquâmes en Belgique au carrefour de Saint-Livinus et nous le traversâmes le jour de la dernière relève. Ce fut toujours le centre de notre division et de notre ravitaillement. Elverdinghe se trouve sur la route de Menin à Furnes, c’est-à-dire sur ce qui donnait à la Belgique sa dernière raison d’être. Au carrefour de la route de Poperinghe, c’est-à-dire des chemins venant de France, c’était un important point de concentration de troupes. Les C.M.[1] y furent nombreux, et je ne vois guère que Vlamertinghe au sud d’Ypres qui lui soit comparable.

Elverdinghe Petrus en Paulus

L'église Saint-Pierre et Saint-Paul, près du carrefour Saint-Livinus (westhoek_fotos's Bucket)

 

Le bombardement y était nul, et je n’y entendis jamais siffler aucun obus durant l’hiver ; ce calme ne fut rompu que deux fois et sans trop de dégâts. Un seul obus atteignit l’église, en perça le mur et blessa un prêtre à l’autel. C’est dire que tout le monde habitait Elverdinghe et même y hospitalisait de nombreux réfugiés.

La ville était formée d’une longue suite de maisons qui s’élevaient le long de la route d’Ypres à Menin[2], en allant du carrefour de la route de Poperinghe à la sucrerie de la route d’Ypres.

Elverdinghe s’étendait au milieu de champs bien cultivés où les arbres séculaires du parc du château constituaient la principale verdure. Ce château était grand, confortable et de peu de style. Le C.A., la division y alternaient. Le parc anglais, traversé par une petite rivière, était ombragé et très agréable. La « Gemeente Huis »[3] s’élevait dans les dépendances du château et était transformée en poste de secours divisionnaire et établissement de bains.

elverginge chateau pascal vanneste brugge

Le château d'Elverdinghe n'a pas dû beaucoup changer, ni son parc (Pascal.Vanneste.Brugge)

 

L’église était propre, bien éclairée et de couleurs vives, le clocher élancé et gracieux, terminait bien la perspective de la grand-rue, quand on vient d’Ypres. Le toit intérieur était en bois peint et ciré, le chœur dégagé et de belles proportions. Les magasins étaient nombreux, presque autant que les cafés, et ce n’est pas peu dire. Épiceries, pâtisseries, charcuteries, merceries alternaient le long de la rue avec les estaminets et les « bierhuis » aux enseignes longues et explicatives « In den zonn verkoopt men dranken »[4] etc.

biersuis nl geslooptinamersfoort

Les "bierhuis" (débits de bière) (geslooptinamersfoort.wordpress.com)

 

Le ravitaillement y était abondant, toujours frais et très varié. Les cafés (étaient bien pourvus)[5], surtout celui du carrefour de la route de Boesinghe (qui)[6] avait une cave remarquable : liqueurs, vin de champagne, vins du Rhin, Bordeaux, Bourgogne ; on y trouvait de tout. L’encombrement y était considérable, et on attendait pour avoir une table en se chauffant auprès du poêle.

poele flamand2

Exemple de poële flamand (http://cuisinede4sous.canalblog.com )

 

Nous cantonnâmes d’abord à la « Cour de Saint-Georges », vieille brasserie logée dans une baraque de l’ancien temps où il faisait froid et triste. Puis, chez un photographe, dans une maison qui avait une chapelle sur la rue, proche du docteur. Une famille nombreuse y était réfugiée, son chef qui avait vingt ans était une jeune fille de grand mérite, mademoiselle Urbanie, qui faisait vivre tout ce petit monde avec ce que la charité des civils et des militaires donnait. Nous habitâmes aussi chez une vieille épicière du carrefour de la route de Boesinghe qui me donna un lit et nous ouvrit sa salle à manger des grands jours.

salle à manger flamande

... et nous ouvrit sa salle à manger des grands jours (http://static2.tuvends.fr/storage/1243167748rgnrneywgd.jpg)

 

Je vécus enfin chez un coiffeur réfugié de Warneton[7], chez sa tante qui tenait une épicerie, homme méritant et qui avait vécu de nombreuses années à Lille.

Je devins ami d’un marchand d’étoffes de la grand-rue qui, cultivé et grand parleur, m’invitait le soir à venir prendre le café en famille pour causer de politique, de la vieille Flandre et de la vie à Elverdinghe avant la guerre. Il gémissait sur les malheurs du présent et faisait des parallèles avec les guerres et l’occupation espagnole. Il connaissait sur le bout des doigts la noblesse de Flandre, ayant été valet de chambre chez le châtelain d’Elverdinghe. Ma contribution à la soirée était l’apport de sucre, fort rare alors et qui adoucissait un café-chicorée qui, sans cela, n’aurait pas été buvable.

Soutine-1927-Le-Valet-de-Chambre

Le valet de chambre (Soutine 1927)

 

Pauvre Elverdinghe, pauvre Boesinghe, pauvres habitants, qu’êtes-vous devenus depuis notre départ ?

Boesinghe n’est qu’un amas de ruines et 1ère ligne de défense des Canadiens depuis l’attaque des gaz asphyxiants. Elverdinghe est tout démoli et continuellement bombardé depuis que la ligne s’est rapprochée de lui.

Il n’y a plus personne là où nous passâmes de si bons jours.

Elverdinghe bombardé

Elverdinghe bombardé (Delcampe.net)

 

Extrait du livre « Les carnets du sergent fourrier » :

http://www.editions-harmattan.fr/index.asp?navig=catalogue&obj=livre&no=41720

 



[1] Ce sigle C.M. demeure mystérieux (cantonnement militaire ? Doute), à moins qu’il ne s’agisse d’E.M. pour état-major).

[2] Il doit s’agir plutôt de la route d’Ypres à Furnes, Menin étant au-delà d’Ypres, à l’est.

[3] La « Gemeente Huis » est la maison commune, l’hôtel de ville.

[4] « In den zonn verkoopt men dranken »: Au soleil, on vend à boire.

[5] (étaient bien pourvus) : mots ajoutés par l’éditeur.

[6] (qui) : mot ajouté par l’éditeur.

[7] Warneton se situe à quinze kilomètres au nord-nord-ouest de Lille.

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Commentaires
De brique et de broque
  • Ce blog reprend, depuis la fin 2015, la publication d'extraits d'un livre que je souhaite rééditer, les "Ecrits d'exil" de Maurice Gabolde, mon GP. Auparavant ce furent les extraits des "Carnets du sergent fourrier". Voir aussi (http://gabolem.tumblr.com)
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