C'était il y a 100 ans, ... durant la campagne d'hiver , au sous-secteur de la Forge, près d'Ypres

11 décembre 2014

C'était il y a 100 ans, ... durant la campagne d'hiver , au sous-secteur de la Forge, près d'Ypres

La Forge

Le sous-secteur de la Forge (google-earth.com)

Le sous-secteur de la Forge, prolongeait dans la direction de Langhemark le sous-secteur de Korteker. Il était à cheval sur la route Bikschote – Langhemark. En remontant la voie ferrée, une fois dépassé le passage à niveau 141, un petit sentier se détachait vers la gauche et conduisait à une ferme à peu près intacte et dissimulée dans les arbres : ce fut longtemps le P.C. du colonel. Ce devint la résidence du capitaine de territoriale dont la compagnie était renfort de bataillon dans ce sous-secteur.

En remontant la voie ferrée (lelongdesrails.blogs.dhnet.be)

De cette ferme on gagnait, à travers champs et prés, une autre ferme de belle apparence dont certains bâtiments étaient en ruines et d’autres intacts. Ce fut notre résidence de secteur pendant deux mois. Elle était située en contre-bas de la route Bikschote – Langhemark, sur les rives, ou plus exactement dans un petit méandre formé par le ruisseau, du Hanebeek.

Au début, nous en partagions la possession avec des artilleurs qui l’abandonnèrent le jour où un obus écorna le toit de la principale bâtisse. Du grenier, on eut toujours une vue superbe sur Bikschote, Langhemark et le marais de Wydendreft. Les verdures de la forêt d’Houthulst complétaient le paysage. Nous fîmes à cette ferme d’importantes transformations et la rendîmes un séjour confortable.

D’abord, nous abandonnâmes complètement le côté du bâtiment d’habitation qui était tourné vers l’ouest et où les balles venaient mourir. Soigneusement bouché de planches et de linges, jamais lumière n’éveilla de ce côté l’attention de l’ennemi. La cave, où la liaison du bataillon avait eu des pertes par l’explosion d’un obus entré par le soupirail, fut également abandonnée.

Le commandant occupait la grande pièce qui donnait sur la cour intérieure de la ferme : elle contenait encore un poêle, une table, un buffet, et l’on avait confectionné un lit de paille dans un coin. Dans la petite pièce à côté, se tenaient les téléphonistes.

Dans la petite pièce...se tenaient les téléphonistes (mathieu.padovani.pagesperso-orange.fr)

Dans le long bâtiment des granges et remises, était installé la liaison : deux pièces : dortoir et salle à manger. Les issues sur la face nord furent complètement bouchées. Un trou avait été ouvert sur la face sud par où l’on quittait la ferme et traversait sur un clayonnage le Hanebeek. À côté, dans une étable, se trouvait le dépôt de matériel qui pouvait contenir, à l’occasion, une section de réserve auprès du chef de bataillon.

Les sapeurs du régiment étaient venus creuser sous ce bâtiment un abri blindé où l’on pouvait se réfugier en cas de bombardement.

Enfin, des porcs avaient élu domicile dans un hangar et nous fournissaient à volonté des suppléments à notre ordinaire. Un boyau de communication réunissait l’habitation et les granges et permettait de se déplacer de jour sans être vu d’un bâtiment à l’autre. Nous passâmes de longues journées d’hiver dans ce bâtiment, jouant aux cartes, causant de la guerre en se chauffant les mains auprès du brasero, attendant l’heure de 6 h où l’on partait communiquer aux commandants.

Figure 32 : Cantonnement du Forgeron d’après un croquis de M Gabolde[i]

Pour se rendre de notre ferme aux compagnies, un seul chemin était praticable. Il fallait traverser le pré qui s’étendait au nord de la ferme, sauter sur des passerelles les bras du ruisseau de Langhemark, s’embourber dans le marécage qui couvrait le sol entre ces bras et grimper sur la route à travers les champs de betteraves un peu plus consistantes aux pieds. Les compagnies se développaient en éventail sur l’axe route Langhemark – Bikschote.

La liaison avec le bataillon de Korteker s’établissait en contre-bas de la route, à une ligne de peupliers, dans un terrain entre tous marécageux et inondé. La compagnie qui se trouvait là arrivait jusqu’au ruisseau du Hanebeek sur la route de Bikschote. Une compagnie se trouvait ensuite à cheval sur la route, à la maison du forgeron. La section de mitrailleuses occupait la tranchée du milieu de la route.

La section de mitrailleuses (gallica.fr)

Venait ensuite la compagnie de la maison du charron ou encore de la tranchée lenticulaire qui prolongeait la précédente sur le côté nord de la route. Ma compagnie assurera cette garde. En avant d’une maison en ruine, les hommes occupaient un élément de tranchée en forme de lentille, trou boueux et pris d’enfilade par un petit canon de tranchée installé dans les ruines d’une bicoque et situé face au Forgeron. Venait enfin la compagnie de la maison 1911 qui était vaguement en liaison par des patrouilles dans le marais avec le bataillon de Langhemark. Cette compagnie avait un grand front, peu dangereux à cause du marais qui s’étendait en avant jusqu’à Wydendreft.

Les marais des Flandres (passé-présent-futur-de-stéphane.com/jean-piel-ses-lettres-sa-mort-au-combat-de-drie-grachten)

L’ennemi en était fort éloigné, et ce fut par-là que deux déserteurs allemands purent passer les lignes sans être vus et venir se constituer prisonniers dans le P.C. de la maison 1911. Ce P.C. était un poème, et je m’y rendis bien des fois. Dans une grange dont le haut était plein de paille soutenue par des claies, se tenaient le commandant de la compagnie et une section de réserve. De la paille suspendaient des obus non éclatés qui constituaient une épée de Damoclès sur la tête des occupants.

Nos cuisiniers, pour éviter l’embourbement dans le marais du ruisseau de Langhemark, utilisaient comme trajet la voie ferrée de Langhemark jusqu’au passage à niveau de Bikschote, puis la route de Bikschote malgré ses tranchées et les arbres qui, placés en travers, gênaient considérablement la circulation.