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De brique et de broque
27 novembre 2014

C'était il y a 100 ans, ... sur le front, au nord d'Ypres

Les Secteurs de Korteker et du Forgeron

Carte Secteur régiment

 Le front durant l'hiver 14-18 (google-earth.com)

La boucle que les lignes françaises formaient devant Ypres, durant l’hiver 14-15, dans les lignes allemandes commençait à l’ouest à l’écluse de Boesinghe, proche d’Het-Sas. À la suite de deux combats livrés par les troupes algériennes dans la région du canal de l’Yperlée et qui se terminèrent par la reprise de Bikschote par l’ennemi, à la dernière maison du passeur vers Het-Sas, la ligne se fixa sur la rive nord du canal dans une région basse et marécageuse, entrecoupée de petits bois et de prairies inondées. Elle laissait le canal à la hauteur de l’écluse de Boesinghe, passait avec des intervalles de 100 à 500 mètres entre les tranchées, au bois triangulaire, au bois trapézoïdal, devant la ferme des Anglais (ainsi nommée à cause des nombreux cadavres qui s’y trouvaient) et venait rejoindre la route de Bikschote à Langhemark un peu au nord et au-dessous du moulin situé à 200 mètres environ au nord du carrefour de Korteker-Cabaret, à une maison de charron[1] que nous tenions. Puis, sur le côté nord de la route, la ligne traversait le marécage situé entre Langhemark et Wydendreft et aboutissait vers les gazomètres de Langhemark. Nous tenons les deux côtés de la route Bikschote-Langhemark jusqu’au charron. Des maisons bordaient la route ; leurs caves aménagées servirent de P.C. aux commandants de compagnies du bataillon ; on eut aussi les P.C. de la maison 1911, du Forgeron etc.

 

moulin detruit langhemarck

 Figure 31 : Un moulin au voisinage de Bikschote[i]

 

Le secteur du régiment allait de la ferme des Anglais à la route Langhemark – Roulers. Les sous-secteurs de bataillons étaient au nombre de trois : (de Langhemark à Het-Sas) sous-secteur de Wydendreft, sous-secteur de la Forge, sous-secteur de Korteker-Cabaret. Nous occupons successivement les deux derniers.

Où était l’ennemi ? En face de nous, il tenait solidement deux ou trois points importants, s’en remettant aux marais du soin de garder le reste. Sage défense qui valait certes mieux que l’éparpillement que nous fîmes, au début, de nos hommes dans des trous de boue intenables. Il tenait d’abord très solidement le cabaret Korteker, « misérable bicoque » dirent très dédaigneusement les journaux de l’époque. Le carrefour de Korteker formait l’avancée immédiate de Bikschote, et sa possession était précieuse. Quelques maisons en ruine entouraient, à un carrefour, une longue bâtisse couverte de tuiles rouges et pas trop endommagée : « Korteker-Cabaret ». Mais, un peu au nord, à 200 mètres environ, sur la route de Langhemark, un moulin en ruine qui prenait en flanc toutes les attaques que nous aurions pu diriger sur le carrefour avait été transformé par l’ennemi en fortin garni de mitrailleuses. Un peu plus au nord, il avait quelques mitrailleuses dans la maison peinte en noir que ma compagnie avait tenue quelques jours et que le 37ème avait perdue. Il avait enfin un bon « Fritz »[2] et un « Minenwerfer »[3] dans une des petites maisons en ruine qui faisaient face au charron. Puis, venait le marais. Enfin, il tenait solidement Wydendreft et enfilait convenablement la voie ferrée au-dessus de la gare de Langhemark.

Minenwerfer

Un "minenwerfer" (chalabremetaitconte.pagesperso-orange.fr)

 

Son artillerie lourde, dissimulée dans le bois d’Houthulst, tirait sur Pilkem et Boesinghe. L’artillerie de campagne, cachée derrière quelque haie, dans un des innombrables enclos du pays, se trouvait au nord de la route Bikschote – Langhemark, entre la forêt d’Houthulst et la route. Les troupes adverses appartenaient à la réserve de l’armée allemande. Elles allaient au repos à proximité du front : Koekuit, Merkem, Westrozebeke[4] et quelquefois à Roulers.

Comme elles étaient peu nombreuses et déjà âgées, elles désiraient avant tout le calme et la tranquillité, afin de pouvoir consacrer le plus clair de leur temps à épuiser l’eau des trous de boue où elles vivaient. Que de fois n’entendîmes et ne vîmes nous pas la manœuvre difficile dans l’eau boueuse de pompes aspirantes que secondaient de nombreuses écopettes. Comme défenses accessoires : peu de fil de fer, quelques réseaux Brun[5] et très peu de barbelés. On préférait faire des claies et des faisceaux pour lutter contre l’ennemi le plus redoutable : l’eau.

reseau Brun

Un réseau Brun (ce.qui.demeure.pagesperso-orange.fr/)

Nos relations se bornent à quelques coups de fusil, à de rares fusillades de principe (nuit du 1er janvier) et à des recherches de cadavres entre les lignes, après entente pour ne pas tirer durant l’opération.

cadavres2

Soldats allemands récupérant leurs camarades (http://lelensoisnormandtome3.unblog.fr)

 

Les relèves ne furent jamais bombardées, et Dieu sait pourtant si on y faisait du bruit, si on y tombait dans les trous d’obus pleins d’eau et si on y allumait des lampes de poche. Il faut ajouter qu’elles s’effectuaient par la route ou à travers champs, sans boyau, dans une plaine où le coup de fusil atteint son maximum de portée.

Lampe de poche

Lampe de poche de 1914 (naturaBuy.fr (sfm692)

 

De jour, la voie ferrée de Boesinghe à Langhemark, qui – bien sablée et surélevée sur les champs avoisinant – était le seul chemin praticable pour la relève, se faisait sonner de temps à autre, surtout quand de bons territoriaux en occupaient les gourbis élevés en bordure des rails. De nuit, c’était le calme plat, malgré le trafic intense qui s’y faisait. Les éminents wagons de la gare de Langhemark retenaient seuls l’attention des batteries ennemies. De notre côté, nous entendions tous les jours le roulement du ravitaillement allemand, qui venait à Korteker même, vers la tombée de la nuit.

Nous occupons d’abord, du 6 au 9 décembre et du 14 au 19 décembre le sous-secteur de Korteker, puis du 22 au 25 décembre, du 30 décembre au 2 janvier, du 7 au 10 janvier, du 15 au 18 janvier, du 23 au 25 janvier le sous-secteur de la Forge.

 

Extrait du livre « Les carnets du sergent fourrier » :

http://www.editions-harmattan.fr/index.asp?navig=catalogue&obj=livre&no=41720

couverture 4ème

 



[1] Un charron est un artisan qui s’occupe de tout ce qui roule de la brouette à la charrette. Il n’en existe quasiment plus, tués par l’automobile et la mécanisation agricole.

[2] Un « Fritz » semble être, en argot militaire (occurrence assez rare, le mot Fritz désignant plutôt un Allemand), un canon de 77 allemand, correspondant au 75 français, mais considéré comme moins performant.

[3] Un « Minenwerfer », littéralement un lance-mines, est un mortier.

[4] Koekuit, Merkem et Westrozebeke sont à une douzaine de kilomètres d’Ypres, du nord-nord-ouest au nord-nord-est.

[5] Un réseau Brun (sans doute d’un inventeur dénommé Brun) est un réseau extensible de fil de fer lisse assez facile à déployer et installer, que perfectionna par la suite le futur général Ribard en utilisant de la ronce artificielle autrement appelée « barbelé ».



[i] Figure 31 : Crédit photographique Forum Eerste Wereldoorlog

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Commentaires
De brique et de broque
  • Ce blog reprend, depuis la fin 2015, la publication d'extraits d'un livre que je souhaite rééditer, les "Ecrits d'exil" de Maurice Gabolde, mon GP. Auparavant ce furent les extraits des "Carnets du sergent fourrier". Voir aussi (http://gabolem.tumblr.com)
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