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De brique et de broque
10 octobre 2014

C'était il y a 100 ans, ... le samedi 10 octobre 1914, à Foncquevillers

10 octobre 1914 – samedi

 Carte Foncquevillers 10 10

Dans les rues et vergers (zone périphérique du village) de Foncquevillers (http://geoportail.gouv.fr)

 

Je suis brusquement réveillé par une fusillade intense et rapprochée. Je crois avoir dormi une heure et je suis trempé de rosée et, à travers un brouillard opaque, je me rends compte que c’est l’aube. À quelques mètres de moi, on parle et ça marche. J’écoute. C’est de l’allemand. Mais alors ! Que s’est-il passé ? Je ne fais qu’un bond dans le fossé. Je saute sur mon fusil et, par le fossé, je cherche à rejoindre la rue. Je me tapis derrière la dernière haie et je vois distinctement, à quelques mètres, les Allemands qui mettent en batterie une pièce dans le verger de la gendarmerie.

Mitrailleuse allemande

Batterie de mitrailleuse allemande (http://www.lieux-insolites.fr/cicatrice/gp/gp.htm)

 

Il me faut à tout prix me sortir de ce mauvais pas. Je rampe le long des lisières et voici qu’à un carrefour du chemin de Foncquevillers à Souastre[1], je tombe sur le commandant qui rallie quelques soldats de la 3ème et de la 2ème compagnie de chez nous. Il paraît très en colère et, aussitôt qu’il me voit, me dit : « Enfin, il en revient de tous côtés ; j’ai bien cru qu’ils vous avaient pris. Prenez le commandement de ces hommes et en avant, il faut reprendre le village à tout prix. »

Je ne comprends rien, ni comment, ni quand, on a perdu le village, mais je repars et fais avancer mes hommes par bonds perpendiculairement aux lisières vers la route Bienvillers – Foncquevillers.

progression de l'infanterie

Progression par bonds aux lisières d’un village (http://ville-brasparts.forum-actif.net/t264-les-braspartiates-dans-la-grande-guerre-1914)

 

Ils sont bien démoralisés et se serrent les uns contre les autres, au lieu de s’espacer, ce qui fait que les obus qui pleuvent sur nous portent bien. Comme il me reste peu d’hommes et que je vois que j’avance seul et que nous sommes le long d’un fossé, je les y arrête et leur dis de creuser aussitôt en attendant les renforts. Ceux-ci viennent sous l’aspect de dragons qui avancent en tirailleurs, gênés dans leurs grands manteaux. Ils parviennent à ma hauteur, et, comme je me mettais en liaison avec un de leurs officiers, un agent de liaison qui accompagne « l’adjudant mitrailleur Ditte » me fait passer de retourner près du commandant.

dragon

Des dragons sans leurs longs manteaux (« L’uniforme et les armes des soldats de la guerre 1914-1918 » de Liliane et Fred Funcken)

 

 

Je manque de me faire fusiller 20 fois à bout portant, car je ne sais où trouver le commandant et j’erre dans les rues de Foncquevillers, où l’ennemi s’est embusqué dans les maisons. Je le retrouve enfin à la brigade (café sur la route de Foncquevillers à Sailly) ; il me dit d’y rester comme agent de liaison, que lui va à la recherche de sa 1ère et 4ème compagnies qui ont dû tenir et vont être un précieux point d’appui pour la contre-attaque que va faire le 37ème pour la reprise du village. Il part, et je le suis des yeux fort tourmenté, car je ne sais diable vraiment pas où je le trouverais, si il y avait un ordre à porter. Le clairon Guesné m’a été adjoint et il commence à roupiller, après avoir déniché la cave.

clairon

Un clairon (http://lagrandeguerre.cultureforum.net)

 

J’apprends là, d’autres agents de liaison, comment s’est passée l’affaire. Au petit jour, l’ennemi, à la faveur du brouillard, a attaqué à la baïonnette la lisière du village à la hauteur de la gendarmerie. Il a percé sur le front de la 3ème compagnie de chez nous par suite de la bêtise de l’adjudant R. (paix à ses cendres, puisqu’il a été tué depuis) qui a semé la panique en se repliant. Nos mitrailleuses ont été prises à la barbe de Ditte, qui a pu s’échapper à grand peine et dont je comprends l’arrivée de tout à l’heure. L’ennemi a poussé des canons en 1ère ligne et a tourné la grand rue du village qu’il occupe jusqu’à l’église. Une vigoureuse contre-attaque du 37ème va se déclencher, et la fusillade commence à éclater. Les nouvelles arrivent : c’est un beau succès, la rue est prise, et avec elle les pièces du 77ème que l’ennemi avait emmenées. Ces pièces seront le soir ramenées à l’arrière par le capitaine Pihan du 8ème d’artillerie avec lequel je passais de si agréables moments. Dans le P.C. de s’Gravenstafel[2], nous évoquâmes souvent l’affaire de Foncquevillers.

artillerie de campagne

Le type d’artillerie de campagne qui fut très disputée ce 10 octobre (http://collateraux-1914.1918.over-blog.com/40-categorie-11002656.html)

 

À midi, seule la gendarmerie reste entre les mains de l’ennemi. Comme le marmitage est peu intense où je suis, je sors dans Foncquevillers, de nombreux Boches jalonnent la rue où les balles viennent mourir. Je découvre le poste de secours du bataillon dans une cave, sans médecin ni personne. Lui, qui fonctionne souvent si bien, fut bien piteux ici, et je prévois le savon dont le gratifiera le commandant. Ils ne savent même pas où est le bataillon et n’ont ramassé personne.

poste de secours

Un poste de secours (http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b6933808p)

 

Trois jours après encore, nous ramasserons nous-mêmes, sur le terrain entre les deux lignes, de malheureux blessés de l’attaque d’aujourd’hui. Vers 10 h du soir, revient le commandant. Il me dit qu’il a passé la journée à errer dans Bienvillers à la recherche des débris des 2ème et 3ème presque reconstituées à l’heure actuelle, mais dont Strassel a trouvé des éléments jusqu’à Sailly et qu’il a failli être tué à Bienvillers, où une maison s’est écroulée sur lui. Il ajoute que je n’ai plus rien à faire là, que nous repassons à la disposition du colonel, que je parte à sa recherche quelque part vers Gommecourt, que lui va de sa personne à la lisière de Foncquevillers, près de la gendarmerie. Les obus terminent notre conversation qui se tenait au carrefour Foncquevillers – Sailly et Foncquevillers – Souastre. L’ennemi se doute qu’il doit se faire quelque ravitaillement à cet endroit et ne se trompe pas. Je pars sur la route de Sailly, et ma bonne étoile me fait découvrir, dans un trou de terre creusé dans le fossé de la route, à la hauteur de Gommecourt, le colonel de Marcilly, le lieutenant Prévost et ses cyclistes. Il me fait raconter l’odyssée du 1er bataillon, couché sur le ventre, à l’entrée de son trou qu’il occupe tout entier.

Comme il n’y aura rien à dire à mon bataillon de la nuit et qu’il n’a qu’à tenir, il profite de ce que je suis à sa disposition pour me faire courir après le ravitaillement du régiment et fixer le lieu des distributions, que je fais au moulin de Foncquevillers ; entre temps, je viens au bataillon dire qu’on vienne toucher en hâte viande et pain et petits vivres, car ça fait deux jours qu’on n’a rien mangé.

point de ravitaillement

Un point de ravitaillement (http://www.faurillon.com/le front/337 point de ravitaillement.jpg)

 

 

En route, je trouve le capitaine Pihan, qui ramène ses canons par les lisières du village et tombe dans tous les trous d’obus. À peine revenu au colonel, voici qu’arrive un détachement de renfort de territoriaux pour le régiment. On les trie en vitesse, et j’amène dans la nuit ces hommes absolument hébétés par la marche et la nouveauté du feu à mon commandant, qui jure comme un sapeur à l’idée d’une répartition à faire dans de pareilles conditions, sans savoir quelles ont été les pertes du bataillon et quel est son effectif.

Telle fut la fin de l’affaire de Foncquevillers où notre liaison eut à déplorer la mort de Delafond, cycliste de la 2ème, qui vint mourir sur le matelas d’une maison pendant la contre-attaque de 10 h et la blessure de Cracowski, fourrier de la 2ème, que remplaça l’ami Gavelle. Ce jour-là également, j’appris la mort de Baranger (7ème), tué en coupant des fils de fer devant Gommecourt.

 

Extrait du livre « Les carnets du sergent fourrier » :

http://www.editions-harmattan.fr/index.asp?navig=catalogue&obj=livre&no=41720

 



[1] Souastre est à cinq kilomètres à l’ouest de Foncquevillers.

[2] S’Gravenstafel est un hameau situé à huit kilomètres au nord-est d’Ypres, en Belgique.

 

 

 

 

 

 

 

 

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Commentaires
T
Mon arrière grand-père le 2ème classe Jouenne Joseph Léon du 22ème Régiment d'Infanterie Territoriale est tombé à Foncquevillers le 11 octobre 1914 (Disparu au Combat) il a son nom inscrit sur l'Anneau de la mémoire à Notre-Dame-de-Lorette - Croix de guerre avec étoile de bronze
C
Mon grand-père, le caporal BLOT Michel du 69ème régiment d'Infanterie a été blessé et fait prisonnier le 10 octobre 2014 à Hannescamps. Il a été soigné par les allemands puis interné à Mersburg. Il a été rapatrié en 1919. Grand-père ne m'a jamais raconté "sa" guerre. Je trouve ce blog passionnant.
De brique et de broque
  • Ce blog reprend, depuis la fin 2015, la publication d'extraits d'un livre que je souhaite rééditer, les "Ecrits d'exil" de Maurice Gabolde, mon GP. Auparavant ce furent les extraits des "Carnets du sergent fourrier". Voir aussi (http://gabolem.tumblr.com)
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